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RÉSURRECTION

venait de jouer le Théâtre-Français, tout le monde l’approuvait et le trouvait charmant. Quand, croyant de son devoir de modérer ses besoins, il portait un veston de l’année précédente, ou s’abstenait de boire du vin, tout le monde l’accusait de se singulariser, de chercher, par vanité, à paraître original ; mais quand, au contraire, il dépensait pour ses plaisirs plus d’argent qu’il n’en avait, quand il chassait, quand il offrait des dîners fins, tout le monde l’approuvait ; et comme il s’était mis en tête d’orner son cabinet avec un luxe particulier, chacun s’était empressé de lui donner des objets de prix. Quand il était chaste, et exprimait le désir de le rester jusqu’à son mariage, toute sa famille tremblait pour sa santé ; et sa mère, que la seule pensée qu’il pût se marier avec Katucha remplissait de terreur, sa mère, loin de s’attrister, s’était presque réjouie en apprenant qu’il venait de ravir une certaine dame française à un de ses camarades. Enfin, quand Nekhludov avait donné aux paysans le petit bien qui lui venait de son père, et cela parce qu’il considérait comme injuste de posséder de la terre, sa décision avait terrifié sa famille et lui avait valu, de la part de son entourage, des reproches et des railleries sans fin. On n’avait pas cessé de lui répéter que le don qu’il avait fait aux paysans, au lieu de les enrichir, les avait appauvris, qu’ils avaient établi dans leur village trois cabarets, et avaient complètement renoncé au travail. Mais quand, au contraire, Nekhludov, étant entré dans la garde et se trouvant admis dans la société la plus aristocratique, avait commencé à dépenser tant d’argent que sa mère avait dû prendre une avance sur son capital, la vieille princesse s’était bien un peu fâchée, mais au fond de son cœur elle s’était réjouie, trouvant naturel et bon que la jeunesse jetât sa gourme, sans parler du plaisir qu’elle avait à voir son fils se dissiper en si brillante compagnie.

Dans les premiers temps, Nekhludov avait lutté contre cette nouvelle manière de vivre ; mais la lutte lui était très difficile parce que tout ce qu’il tenait pour bon, quand il croyait en soi-même, était considéré par les