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RÉSURRECTION

dit Nekhludov. Et il sortit de sa chambre pour la rattraper.

Ce qu’il voulait d’elle, lui-même ne le savait pas. Mais il avait l’impression que, quand elle était entrée dans sa chambre, il aurait dû faire ce que tout le monde faisait en pareille circonstance, et qu’il ne l’avait pas fait.

— Katucha, arrête-toi ! — lui dit-il.

Elle se retourna.

— Qu’y a-t-il ? — demanda-t-elle en cessant de courir.

— Il n’y a rien ; seulement…

Et, faisant effort sur lui-même, et se rappelant comment se comportaient tous les hommes de sa classe, il lui passa le bras autour de la taille.

Elle s’arrêta tout à fait, et le fixa dans les yeux.

— Ce n’est pas bien, Dimitri Ivanovitch, ce n’est pas bien ! — dit-elle, devenant toute rouge et prête à pleurer. Puis, de sa petite main robuste, elle écarta le bras qui l’avait enlacée.

Nekhludov la lâcha. Il sentit tout à coup une impression non seulement de malaise et de honte, mais de répugnance pour lui-même. Il aurait dû croire en lui-même, à cet instant décisif ; mais il ne comprit pas que cette honte et cette répugnance étaient l’expression du fond de son âme ; et, au contraire, il se figura que c’était sa sottise qui parlait en lui, et que son devoir était de faire comme tout le monde.

De nouveau, il poursuivit Katucha ; de nouveau, il la prit par la taille ; et il lui glissa un baiser dans le cou.

Ce baiser n’avait plus rien de commun avec ceux qu’il lui avait donnés les deux fois précédentes : une première fois derrière le bouquet de sureaux, la seconde fois à l’église, le matin même de ce jour. Son baiser d’à présent avait quelque chose de terrible ; et elle le sentit.

— Que faites-vous ? — s’écria-t-elle d’une voix effrayée. Puis, prenant son élan, elle s’enfuit à toutes jambes.