Page:Trevoux - Dictionnaire , 1704, T01, A-Cenobitique.djvu/39

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s’abatre, pour dire, à broncher, à tomber. On dit au jeu du Trictrac, Abatre du bois, pour dire, abatre des Dames afin de caser. Nicod dérive ce mot de à bas, adverbe local compose de à & de bas.

Abatre, en termes de Marine, signifie Déchoir, Dériver, s’écarter de la vraye route. Declinare, deerrare., ce qui se fait par la force des courans ou des marées, ou par les erreurs du pointage, ou par le mauvais gouvernement du timonier. On dit aussi qu’un Pilote abat son vaisseau d’un quart de Rumb ou d’un autre aire de vent, quand il vire ou change sa course, & gouverne sur un autre Rumb que celui de sa route. On dit, abatre un navire ; pour dire, le faire obéïr au vent, lors qu’il est sur les voiles, ou qu’il présente trop l’avant au lieu d’où vient le vent. On dit, le navire abat, lorsque l’ancre a quitté le fond, & que le vaisseau obéït au vent pour arriver. Aller à la dérive, s’appelle aussi abatre : c’est quand on va de côté au gré du vent & de la marée, au lieu d’aller en droiture. On dit aussi, Abatre un vaisseau sur le côté, lors qu’on veut travailler à la carene, ou en quelque endroit des œuvres vives.

En termes de Fauconnerie on dit, Abatre l’oiseau ; pour dire, le tenir & serrer entre les mains pour le garnir de gers, le poivrer, ou lui donner quelque medicament par force. On dit encore, que l’oiseau de proye s’abat, lorsqu’il s’abaisse vers terre.

Abatre, se dit figurément en Morale, pour vaincre, dompter, renverser. Comprimere, Reprimere.. Abattre l’orgueil de quelqu’un. Quand la mort abat la plus florissante jeunesse, alors on reconnoît la vanité des attraits du monde. Il signifie aussi accabler, & se dit des troubles & des afflictions de l’ame & du corps. Debilitare, Frangere.. Ce changement de fortune lui a abatu l’esprit & le courage. Il s’est laisse vaincre & abatre à la douleur. Quand il se met avec le pronom personnel, il signifie perdre courage. Dimittere & contrahere animum. Contrahi ac dimitti animo. Il ne s’abat point dans l’adversité. Ablanc. Se laisser abatre dans la moindre affliction. Ablanc.

On dit dans la conversation, Abatre le caquet, pour dire, reprimer la fierté & la presomption de quelqu’un, le faire taire. Loquacitatem, linguam comprimere

On dit proverbialement, Petite pluie abat grand vent, pour exprimer que quelques paroles flatteuses apaisent un grand emportement. On dit d’un homme qui fait bien de la besogne, & d’un Juge qui expédie beaucoup de procés, qu’ils abatent bien du bois.

Abatu, üe. part. pass. & adj. Dirutus, Eversus. Maison abatue. Bois abatus.

Figurément il signifie, Accablé, vaincu, terrassé. Debilitatus, fractus, victus. Jupiter ne pouvoit rien voir de plus beau que Caton, se soutenant dans un parti abatu, & demeurant ferme parmi les ruines de la République. Bouh. L’esprit abatu par les soins rongeans de la pauvreté, n’est guere capable de mouvemens nobles & élevez. S. Evr. On voit l’orgueil à ses pieds abatu. Gomb. Il signifie encore, Être languissant & sans courage. Je me sens tout abatu.

ABATURES. s. f. plur. Terme de Venerie. Foulures, menu bois, broussailles, fougére, que le cerf abat du bas de son ventre en passant. Depressa Cervi alvo virgultorum cacumina. On connoît le cerf par ses abatures.

ABAVENT. s. m. est la charpente qui se met dans les ouvertures des clochers, qui est ordinairement couverte d’ardoise, qui sert à abatre le vent, & qui n’empêche pas que le son de la cloche n’agite l’air de dehors, & ne se fasse entendre au loin : au contraire, il renvoye en bas le son de la cloche, qui autrement se dissiperoit en l’air. Tous ces mots viennent du Grec βαθὐς, qui signifie profond, bas.

ABAZÉE. Voyez Sabazie.

ABB.

AbBATIAL, ale. adj. Qui appartient à l’Abbé. Logis abbatial. Dignité abbatiale. Mense abbatiale. Messes Abbatiales  : ce sont celles que les Abbez doivent celebrer. Abbatialis.

AbBAYE. se prend quelquefois pour un composé des Religieux & de l’Abbé. Voilà une Abbaye bien reglée, où l’Abbé vit comme un simple Moine.


Abbaye, s. f. Abbatia. Monastère érigé en Prélature, ou Maison de Religieux ou de Religieuses, régie par un Abbé ou par une Abbesse. Les Abbayes sont d’ancienne fondation, comme les Abbayes de Cluny, de St. Denis, de Ste. Geneviève, &c. Il y a des Abbayes en Commande ; d’autres Abbayes Régulières ou en Régle ; d’autres qui sont secularisées, possedées par des Chanoines seculiers. Les Abbayes sont des Bénéfices consistoriaux ; il n’y a que le Roi qui y nomme.

Abbaye, se prend quelquefois simplement pour la maison & le Couvent. C’est par rapport à l’Architecture, un logement joint à un Couvent, & habité par un Abbé. Dans une Abbaye de fondation Royale, il s’appelle le Palais Abbatial. Vign. Voilà une Abbaye bien bâtie, une Abbaye qui tombe en ruïnes.

Abbaye, se prend aussi pour un Bénéfice, & pour le revenu dont joüissent les Abbez. Il a obtenu pour son fils une Abbaye de dix mille livres de rente.

Quoiqu’il y ait eu autrefois des laïques qui ont joüi du revenu des Abbayes, on ne doit pas pour cela leur donner le nom d’Abbé ; car ç’a été dans des tems de désordre & de necessité, que les Princes donnerent ces Abbayes à des Seigneurs de leur Cour, pour soutenir les dépenses de la guerre. Charles Martel est le premier qui l’ait fait.

Toutes les Abbayes de France, à la réserve de celles qui sont Chefs d’Ordre, comme Cluny, Cisteaux, &c. sont à la nomination du Roy. On doit joindre à celles-là les quatre filles de Cisteaux, qui sont saint Edme de Pontigni, la Ferté, Clairmont & Morimont. Elles ont aussi conservé le droit d’élection. Il y a outre cela cinq Abbayes qu’on nomme de Chezal Benoist, qui sont à l’élection de l’Ordre de saint Benoît, tous les trois ans, par une longue possession. Ces Abbayes sont Chezal Benostt en Berry, saint Sulpice de Bourges, saint Alire de Clermont, saint Vincent du Mans, & saint Martin de Sez. On a souvent agité la question, si cette possession exclut le Roi de son droit de nomination à ces Abbayes, & cette question n’est pas encore aujourd’hui vuidée. Les Moines Bénédictins qui ont eu de puissans Patrons dans le Conseil du Roy, joüissent encore aujourd’hui paisiblement de leur droit d’élection.

Comme le Roi n’a son droit de nomination qu’en vertu du Concordat fait entre Léon X. & François I. il y a eu quelques difficultés sur les Abbayes de filles, parce qu’elles ne sont point comprises dans le Concordat. Il y a même un Article de l’Ordonnance d’Orleans, qui porte que les Abbesses seront éluës par les Religieuses des Monasteres, & même qu’elles ne seront que triennales. Mais cette Ordonnance n’a point été exécutée. Le Roy nomme également aux Abbayes de Filles & à celles d’Hommes. Il y a cependant toujours eu des disputes sur les Abbayes de l’Ordre de sainte Claire, qu’on prétend être à l’élection triennale des Religieuses.

On dit proverbialement, Pour un Moine l’Abbaye ne faut pas ; pour dire, que faute d’une personne qui ne se trouve pas dans une assemblée, on ne laisse pas de se réjouïr, ou d’exécuter ce qui a été résolu.

AbBÉ. Ce nom, dans sa première origine, qui est Hébraïque, signifie Pere. Car les Hébreux appellent Pere en leur langue, Ab ; d’où les Caldéens & les Syriens ont fait Abba, & de Abba, les Grecs ont formé ἀββας, que les Latins ont conservé ; & c’est enfin de là qu’est venu le nom d’Abbé en nôtre langue. Saint Marc & saint Paul ont gardé le mot Syriaque ou Chaldaïque Abba, pour dire Pere, parce qu’il étoit alors commun dans les synagogues & dans les premieres assemblées des Chrétiens ; mais ils l’ont interprété en ajoutant le mot Pere. C’est pourquoi Abba Pater, au chap. 14. de S. Marc, v. 36. ne signifie pas mon Pere, mon Pere, comme il y a dans la version de Mons, & dans celle des Jesuites de Paris. Il est mieux de traduire avec le Pere Amelotte, Abba, mon Pere ; ou plûtôt avec M. Simon, Abba ; c’est-à-dire, mon Pere. Quoique ces deux mots Abba, Pere, soient la même chose, tant dans S. Marc que dans S. Paul au chap.’. de l’Epître aux Galat. V. 6. il n’y a cependant point de pleonasme dans cette expression. Les Evangelistes & les Apôtres ont conservé dans leurs écrits plusieurs mots Syriaques qui étoient


en usage, & comme ils écrivoient en grec, ils ont en même tems ajouté l’interpretation de ces mots en langue Grecque. C’est sur ce pied-là qu’au Chap. 13. des Actes des Apôtres, V. 8, où il y a dans notre Vulgate, conformément à l’original Grec, Elymas magus, Mess. de P. R. & le P. Amelotte ont fort bien traduit, Elymas, c’est-à-dire, le Magicien. Ces autres paroles qui suivent immédiatement après, car c’est ce que signifie Elymas, confirment ce qu’on vient de dire, touchant la signification de Abba Pater ; ce qui a été remarqué par saint Jérôme dans son Commentaire, sur le Chap. 4. de l’Epître aux Galates, où il explique fort bien ces mots Abba Pater. Le nom de Abba, qui dans les commencemens étoit un mot de tendresse & d’amour dans la langue Hébraïque ou Caldaïque, devint en suite un nom de dignité & un titre d’honneur, les Docteurs Juifs affecterent ce titre, & un de leurs plus anciens livres, qui contient diverses sentences ou Apophthegmes de leurs Peres est intitulé Pirke Abbot, c’est-à-dire, Chapitre des Peres. C’est par rapport à cette affectation, que Jesus-Christ dans S. Mathieu, Chap. 23. V. 9, dit à ses Disciples : n’appellez personne sur la terre vôtre Pere : car vous n’avez qu’un Pere qui est dans le Ciel. S. Jérôme se sert de ces paroles de J.C. contre les Superieurs des Monasteres de son temps, qui prenoient le titre de Peres ou Abbés. Il dit, expliquant ces paroles de S. Paul, Abba Pater, dans son Commentaire sur l’Epître aux Galates, Chap. 4. Je ne sçai par quelle licence le titre de Pere ou Abbé a été introduit dans les Monasteres, Jesus-Christ ayant défendu expressément que qui que ce soit prît ce nom, parce qu’il n’y a que Dieu seul qui soit notre Pere. Mais comme Jesus-Christ a plutôt condamné la vaine gloire des Juifs, qui prenoient la qualité de Peres, que le nom de Pere, il n’est pas surprenant que les Chefs ou Supérieurs des Monastères l’aient pris dès les premiers établissemens des Moines.

Le nom d’Abbé est donc aussi ancien que l’institution des Moines. Ceux qui les gouvernerent, prirent le nom d’Abbés & d’Archimandrites. Ce nom s’est toûjours conservé depuis dans l’Église : & comme ils étoient eux-mêmes Moines, ils étoient distinguez du Clergé, avec lequel cependant on les mêloit quelquefois, parce qu’ils tenoient un rang au-dessus des laïques. S. Jérôme écrivant à Héliodore, nie absolument que les Moines soient du Clergé : alia, dit-il, Monachorum est causa, alia Clericorum. Il reconnoît néanmoins que les Moines n’étoient pas exclus par leur profession des emplois Ecclesiastiques. Vivez, dit-il dans sa Lettre au Moine Rusticus, d’une maniere que vous puissiez meriter d’être Clerc ; & si le peuple ou vôtre Evêque jette pour cela les yeux sur vous, faites ce qui est du devoir d’un Clerc.

Les Abbés ou Archimandrites, dans ces premiers temps étoient soumis aux Évêques & aux Pasteurs ordinaires ; & comme les Moines vivoient alors dans des solitudes éloignées des villes, ils n’avoient aucune part aux affaires Ecclesiastiques. Ils alloient à la Paroisse avec le reste du peuple ; & quand ils en étoient trop éloignez, on leur accordoit de faire venir chez eux un Prêtre pour leur administrer les Sacremens. Enfin, ils eurent la liberté d’avoir des Prêtres qui fussent de leur Corps. Souvent l’Abbé ou l’Archimandrite étoit Prêtre ; mais ces Prêtres ne servoient qu’aux besoins spirituels de leurs Monastères. Quelque pouvoir que les Abbez eussent sur leurs Moines, ils étoient soumis aux Evêques, qui avoient beaucoup de consideration pour eux, sur tout après les services qu’ils rendirent aux Eglises d’Orient. Comme il y avoit parmi eux des personnes savantes, ils s’opposerent fortement aux herésies naissantes ; ce qui fit que les Evêques jugerent à propos de les tirer de leurs solitudes. On les mit dans les fauxbourgs des villes, pour être plus utiles aux peuples. S. Chrysostôme jugea même à propos de les faire venir dans les villes ; ce qui fut cause que plusieurs s’appliquerent aux Lettres, & se firent promouvoir aux Ordres. Leurs Abbez en devinrent plus puissans, étant considérez comme de petits Prelats. Mais les Moines qui se crurent en quelque maniere independans des Evêques, se rendirent insupportables à tout le monde, même aux Evêques, qui furent obligés de faire des Loix contr’eux dans le Concile de Chalcédoine. Cela