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PREFACE.


ctionnaire, mais même dans aucun autre Livre, je veux dire, une explication très-curieuse & très-nette de toutes les sectes différentes en fait de Religion. Comme ces mots transférez d’une Langue étrangere dans la nostre, en font maintenant une partie, on n’a pû s’empêcher de les mettre en leur place ; & il eust esté inutile de les y mettre, si l’on n’eust donné en même temps une explication assez ample pour faire connoistre toute la force & l’étendue de leur signification. En effet, si l’on se fust contenté, pour tout commentaire au mot de Caraïte, de dire que c’est un nom de Sectaires parmi les Juifs, le Lecteur n’en seroit guère plus avancé, & ne sauroit point en quoy ils différeroient des autres Sectaires de cette Religion, tels que les Sadducéens, les Samaritains, &c. Il a donc fallu luy apprendre en même temps ce que cette secte avoit de particulier, & ce qui la distinguoit des autres. C’est pour cela qu’on en a marqué l’origine, en montrant, sur l’autorité d’un fameux Rabbin, qu’elle vient du mot de Caraï, mot dérivé de Kara ou Cara, qui signifie en Hebreu Lyre, & d’où se forme Micrah, qui veut dire le pur texte de la Bible, & Karaï ou Caraï, celuy qui s’attache uniquement à ce texte, nom que l’on a donné à ces Sectaires, parce qu’ils rejettoient toutes les interprétations, paraphrases, & constitutions des Rabbins, qu’ils regardoient comme des rêveries, voulant qu’on s’en tînt précisément au texte & à la lettre. On fait remarquer que cette secte subsiste encore aujourd’hui, & qu’il y a des Caraïtes en Pologne, à Constantinople, au Caire & en d’autres endroits du Levant ; qu’ils ont des synagogues, des cérémonies, des coutumes particulieres, & qu’ils se regardent comme les seuls vrais observateurs de la Loi de Moïse. On parle de l’opposition extrême qui est entre eux & les autres Juifs, qu’on nomme Rabanistes : on releve en passant les erreurs où quelques Ecrivains sont tombez à l’égard de ces Sectaires, en leur attribuant des opinions qu’on montre qu’ils n’avoient pas, comme de dire, qu’ils n’admettoient que le Pentateuque, ne reconnoissant point pour canoniques les autres Livres de l’ancien Testament ; qu’ils rejettoient absolument toutes sortes de Traditions, & qu’ils estoient Sadducéens. Enfin, on apporte quelques exemples qui font voir de quelle maniere ils s’y prenoient pour réfuter les constitutions du Talmud, s’appuyant principalement sur ce principe, qu’il falloit rejetter toutes celles qui n’estoient point conformes à l’Ecriture, ou qui n’en estoient point tirées par des conséquences manifestes & necessaires. Je me suis un peu étendu sur cet article que j’ay pris au hazard & sans choix, c’est afin qu’on pust juger de tous les autres par celuy-là. Car si l’on veut se donner la peine de les examiner, on trouvera qu’ils sont tous traitez avec le même soin & la même exactitude.

Au reste, si l’on a eu tant d’exactitude à expliquer les différentes sectes des Religions étrangeres, on en a encore plus apporté sur ce qui regarde les sectes particulieres qui partagent la Religion Chrétienne, & les heresies diverses qui en sont sorties ; mais on a pris soin de n’y faire paroistre aucune partialité. On s’est contenté d’exposer les opinions sur lesquelles elles sont fondées, & cela d’une maniere simple, & qui ne sortît point des bornes d’un Dictionnaire, où l’on ne doit toucher ces matieres, qu’autant qu’elles sont du ressort de la Grammaire, & que les termes qui leur sont particuliers font partie de la Langue. C’est aux Théologiens à réfuter les erreurs, & à établir les véritez sur lesquelles est appuyée la véritable Religion ; il suffit au Grammairien d’expliquer nettement les termes dont on est obligé d’user, en traitant ces sortes de questions, & de donner des notions claires de ces partis différens, qui se sont élevez contre l’Eglise. C’est tout ce qu’on peut exiger de luy, & il sortiroit de son caractère, s’il poussoit l’érudition plus loin. On n’attend point de luy qu’il s’érige en Controversiste, mais qu’il mette les Controversistes en état de se rendre intelligibles les uns aux autres, dans les démeslez de Religion qu’ils ont ensemble. En un mot, sa jurisdiction est resserrée precisément dans les mots & dans les termes de la Langue, & elle ne s’étend point jusqu’aux choses, dont il ne luy est permis de parler qu’autant que cela est necessaire, pour l’intelligence des mots mêmes, qui font proprement l’objet qu’il doit se proposer, & la matiere où doit se renfermer son érudition & sa critique. Il a le champ libre de ce costé-là, & il ne peut même se dispenser de discuter exactement les difficultez de Grammaire qu’il rencontre quelquefois en son chemin. C’est à quoy on a tâché de satisfaire dans ce Dictionnaire, où, quand on est tombé sur des termes dont tout le monde ne convient pas, par rapport à la force & à l’étenduë de leur signification, & qui


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