Page:Trevoux - Dictionnaire , 1704, T01, A-Cenobitique.djvu/19

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PREFACE.


ont donné lieu à des contestations entre des Auteurs célèbres, jusqu’à rendre la chose problématique, on a crû devoir quelque explication sur ces points là, afin de mettre le Lecteur à portée de prendre son party. On en trouvera un exemple sur le mot de Commerce, qu’un sçavant Critique avoit trouvé mauvais qu’on eust employé en bonne part dans la traduction du nouveau Testament, qui a paru depuis quelques années. L’Auteur qui, de l’aveu public, estoit un des hommes du monde qui entendoit le mieux nostre Langue, & celuy, peut-estre, qui l’avoit étudiée le plus à fond, s’estoit servi du mot de commerce, pour traduire ces paroles de l’Ecriture, au sujet de Joseph & de Marie, antequam convenissent ([1]), en les rendant ainsi, sans qu’auparavant ils eussent eu commerce ensemble. Il avoit esté relevé sur cela ; & c’est ce qui a donné lieu de s’étendre un peu en tombant sur ce mot, où l’on vérifie par plusieurs exemples, qu’il est de soy indifférent au bien & au mal, & qu’il n’y a que le terme qu’on y joint, ou la matiere dont il s’agit, qui le détermine à un bon ou à un mauvais sens. On en a usé de la même maniere à l’égard des mots qui souffroient de semblables difficultez. Il y auroit encore beaucoup d’autres choses à dire à l’avantage de ce Dictionnaire, mais ausquelles on ne s’arreste pas, pour ne point faire cette Preface trop longue. Ce qu’on y a exposé suffit pour faire concevoir l’utilité du Livre, & pour convaincre qu’on n’y a rien omis de ce qui estoit necessaire pour le rendre tres-instructif.

A l’égard de l’orthographe, on a suivi une methode particuliere, qu’on espere qui ne sera pas desapprouvée. Ce point n’estoit pas un des moins embarrassans à cause de la diversité des sentimens qu’il y a en cette matière entre plusieurs bons Auteurs, sur tout pour ce qui regarde les lettres qui ne se prononcent pas. Car c’est une chose étrange qu’avec tous les soins qu’on se donne depuis si long-temps pour perfectionner, & pour fixer nostre Langue, on n’ait pû encore établir une uniformité parfaite sur cet article. Les uns pretendent qu’il faut écrire comme on parle, & supprimer sur le papier les lettres qu’on supprime dans la prononciation. Les raisons qu’ils en apportent sont, premierement qu’elles sont inutiles, puisqu’elles ne font point de son, & qu’elles ne se prononcent pas ; secondement, qu’elles sont un écueil pour les Etrangers qui étudient notre Langue, & qui n’ayant point de regle sûre & generale pour discerner les lettres muettes de celles qu’il faut prononcer, s’y trouvent souvent pris, & prononcent Mestre de Camp comme Maistre d’Ecole, ou Maistre d’Ecole comme Mestre de Camp, supprimant ou faisant sonner la lettre s également dans ces deux mots. Les autres conviennent bien de l’embarras qu’il y a pour les Etrangers, si l’on veut conserver ces lettres, mais non pas de leur inutilité. Car servant à marquer l’origine des mots françois & le rapport qu’ils ont aux Langues etrangeres dont ils sont dérivez, ils soûtiennent qu’elles leur sont essentielles. Ils disent que, comme chaque Langue a ses usages & ses difficultez, la nostre a aussi les siennes, ausquelles ceux qui veulent l’apprendre doivent s’assujettir, & que ce n’est pas à nous à accommoder notre Langue au goust des Etrangers, mais que c’est aux Etrangers à s’accommoder au goust de notre Langue. Comme ces raisons sont bonnes de part & d’autre, & qu’il y a toûjours de l’inconvénient, soit à mettre ces lettres muettes, soit à les supprimer, on a pris un milieu où il paroist que tout le

  1. Matth. Cap. I.