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LE BACHELIER GÉANT.

femme en haillons, moutards pieds nus ! Il en jette un en croix sur son cou, et l’autre à califourchon sur la caisse.

Il hume l’air, il interroge l’horizon.

Le vent souffle, le ciel est rouge…

Ah ! s’il allait pleuvoir demain !

La pluie, c’est l’ennemi, la misère, la faim ! Plus de paysans sur les places, de badauds dans les foires. Si vous saviez ce qu’on pense du ciel dans notre bohème, quand il lansquine !

Tel est le voyage.

Voilà la vie que j’ai menée pendant quatre ans ; en amateur, les premiers temps, comme les princes russes suivent les écuyères ; plus tard, pour vivre, et rester près d’elle !

Je devais en arriver là, et la chute n’était pas difficile à prévoir.

J’étais parti avec un millier de francs ; ils me durèrent quelques mois. Un beau jour, je me trouvai en face du dernier louis.

Que faire ?

Je n’y avais pas encore songé.

Forcé d’y songer maintenant !

La quitter, rentrer au pays ?… Il était temps encore.

J’essayai : je fis deux lieues en arrière, le soir, dans les champs, courant à perdre haleine…

Mais l’anneau était bien rivé, la chaîne clouée au cœur, et je m’arrêtai tout d’un coup.

Je regardai par là-bas, du côté de la plaine, la