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césar cascabel.

« Eh bien, dit-il, notre Russe n’en sera pas moins venu jusqu’à Sitka ! Si les policiers nous obligent à retourner sur la frontière, du moins le garderont-ils, comme étant un de leurs compatriotes, et puisque nous avons commencé par le sauver, c’est bien le diable s’ils n’achèveront pas de le guérir ! »

Raisonnement qui avait du bon, mais qui ne laissait pas d’inquiéter la famille touchant l’accueil qui lui serait fait. C’est qu’il eût été bien cruel, une fois à Sitka, d’être contraint de reprendre le chemin de New York.

Cependant, tandis que la voiture attendait sur le bord du canal, Jean était allé s’enquérir du bac et des bateliers, qui procéderaient à l’embarquement.

Kayette vint à ce moment prévenir M. Cascabel que sa femme le demandait, et il se rendit auprès d’elle.

« Notre blessé a certainement recouvré toute sa connaissance, dit Cornélia. Il parle, César, et il faut que tu tâches de comprendre ce qu’il veut dire !… »

En effet, le Russe avait ouvert les yeux, et les promenait autour de lui, comme interrogeant du regard ces personnes qu’il voyait pour la première fois de sa vie. Par instants, quelques paroles incohérentes s’échappaient de ses lèvres.

Et alors, d’une voix si faible, qu’on l’entendait à peine, il appela son domestique Ivan.

« Monsieur, dit M. Cascabel, votre domestique n’est point ici, mais nous sommes là… »

À ces mots, prononcés en français, le blessé répondit dans la même langue :

« Où suis-je ?

— Chez des gens qui ont pris soin de vous, monsieur…

— Mais ce pays ?

— C’est un pays où vous n’avez rien à craindre, si vous êtes Russe…

— Russe… oui !… Russe !…