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en dérive.

cette anomalie climatérique, la question des aliments n’était pas pour inquiéter, dût la dérive se prolonger pendant quelques semaines. En prévision d’un long cheminement à travers les territoires asiatiques, où il serait malaisé de se procurer des vivres, on avait fait ample provision de conserves, de farine, de riz, de graisse, etc. Il n’y avait plus même, hélas ! à se préoccuper de la nourriture de l’attelage. Et, il faut bien le dire, si Vermout et Gladiator eussent survécu à la débâcle, comment eût-il été possible de subvenir à leurs besoins ?

Pendant les 2, 3, 4, 5 et 6 novembre, rien de nouveau, si ce n’est que le vent montrait une tendance à se calmer en remontant un peu vers le nord. C’est à peine si le jour durait deux heures — ce qui ajoutait encore à l’horreur de la situation. Malgré les observations incessantes de M. Serge, il devenait très difficile de contrôler la dérive, et, faute de pouvoir la pointer sur la carte, on ne savait plus où l’on était.

Cependant, le 7, un point de repère put être relevé, reconnu, puis fixé avec une certaine exactitude.

Ce jour-là, vers onze heures, au moment où les vagues rayons du jour imprégnaient l’espace, M. Serge et Jean, accompagnés de Kayette, venaient de se rendre à l’avant du glaçon. Il y avait dans le matériel forain une longue-vue assez bonne, qui servait à Clou, lorsqu’il montrait aux badauds l’équateur, figuré par un fil tendu sur l’objectif, et les habitants de la Lune, représentés par des insectes introduits dans le tube. Après avoir nettoyé soigneusement cette longue-vue, Jean l’avait emportée, et, l’oculaire aux yeux, il cherchait à reconnaître s’il n’y avait pas de terre au large.

Or, depuis quelques instants, il examinait très attentivement l’horizon, lorsque Kayette, tendant la main vers le nord, dit :

« Je crois, monsieur Serge, que j’aperçois là-bas… Est-ce que ce n’est pas une montagne ?…

— Une montagne ?… répondit Jean. Non !… Ce n’est probablement qu’un iceberg ! »