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césar cascabel.

C’est après un parcours de quinze cents lieues que ce beau fleuve, accru d’un grand nombre de tributaires, vient se perdre dans les profondeurs de la mer Arctique. Son bassin n’est pas estimé à moins de cent cinq millions d’hectares.

La carte ayant été mûrement examinée, M. Serge pensa qu’il conviendrait tout d’abord de suivre les contours de la baie, de manière à éviter les bouches multiples de la Lena. Bien que ses eaux fussent encore glacées, il eût été très pénible de s’aventurer au milieu de ce dédale. L’embâcle, accumulé par l’hiver, y formait de monstrueux encombrements de blocs, dominé par de véritables icebergs d’aspect très pittoresque, mais difficiles à tourner.

Au-delà de la baie, c’était le commencement de l’immense steppe à peine accidentée de quelques dunes, et sur laquelle le voyage s’effectuerait aisément.

Évidemment Ortik et Kirschef étaient habitués à voyager sous ces hautes latitudes. Leurs compagnons avaient déjà pu l’observer pendant la traversée de l’icefield depuis l’archipel des Liakhoff jusqu’à la côte de Sibérie. Les deux marins savaient organiser un campement, construire au besoin quelque solide hutte de glace. Ils connaissaient le moyen employé par les pêcheurs du littoral, qui consiste à faire absorber l’humidité contenue dans les vêtements en les enfouissant sous la neige ; ils n’hésitaient pas, lorsqu’il s’agissait de distinguer les blocs produits par la congélation de l’eau salée des blocs dus à la congélation de l’eau douce ; enfin ils étaient au courant des divers procédés de marche, familiers aux voyageurs des contrées arctiques.

Du reste, ce soir-là, après le souper, la conversation porta sur la géographie de la Sibérie septentrionale, et Ortik fut amené à dire en quelles conditions Kirschef et lui avaient parcouru cette contrée.

Lorsque M. Serge lui eut demandé :

« Comment se fait-il que, vous autres marins, vous ayez eu l’occasion de visiter ces territoires ?

— Monsieur Serge, répondit-il, il y a deux ans, Kirschef, une