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appareils du capitaine boyton.

Et Soun ? Où était Soun ? En avant cette fois, et déjà très rapproché de la barque, qui n’était pas à trois encablures. Le poltron avait fui à force de pagaie. Cela faillit lui porter malheur.

Les pêcheurs, en effet, l’avaient aperçu ; mais ils ne pouvaient imaginer que sous cet accoutrement de chien de mer il y eût une créature humaine. Ils se préparèrent donc à le pêcher, comme ils auraient fait d’un dauphin ou d’un phoque. Ainsi, dès que le prétendu animal fut à portée, une longue corde, munie d’un fort émerillon, se déroula du bord.

L’émerillon atteignit Soun au-dessus de la ceinture de son vêtement, et, en glissant, le déchira depuis le dos jusqu’à la nuque.

Soun, n’étant plus soutenu que par l’air contenu dans la double enveloppe du pantalon, culbuta, et resta la tête dans l’eau, les jambes en l’air.

Kin-Fo, Craig et Fry, arrivant alors, eurent la précaution d’interpeller les pêcheurs en bon chinois.

Frayeur extrême de ces braves gens ! Des phoques qui parlaient ! Ils allaient éventer leurs voiles, et fuir au plus vite…

Mais Kin-Fo les rassura, se fit reconnaître pour ce qu’ils étaient, ses compagnons et lui, c’est-à-dire des hommes, des Chinois comme eux !

Un instant après, les trois mammifères terrestres étaient à bord.

Restait Soun. On l’attira avec une gaffe, on lui releva la tête au-dessus de l’eau. Un des pêcheurs le saisit par son bout de queue et l’enleva…

La queue de Soun lui resta tout entière dans la main, et le pauvre diable fit un nouveau plongeon.

Les pêcheurs l’entourèrent alors d’une corde et parvinrent, non sans peine, à le hisser dans la barque.

À peine fut-il sur le pont et eut-il rejeté l’eau de mer qu’il venait d’avaler, que Kin-Fo s’approchait et, d’un ton sévère :

« Elle était donc fausse ?

— Sans cela, répondit Soun, est-ce que, moi qui connaissais vos habitudes, je serais jamais entré à votre service ? »

Et il dit cela si drôlement, que tous éclatèrent de rire.

Ces pêcheurs étaient des gens de Fou-Ning. À moins de deux lieues s’ouvrait précisément le port que Kin-Fo voulait atteindre.

Le soir même, vers huit heures, il y débarquait avec ses compagnons, et, dépouillant les appareils du capitaine Boyton, tous quatre reprenaient l’apparence de créatures humaines.