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les tribulations d’un chinois en chine

à remonter sur sa bête, le guide se pencha à son oreille et murmura ces mots :

« Défiez-vous de ces deux hommes ! »

Kin-Fo allait demander l’explication de ces paroles… Le guide lui fit signe de se taire, donna le signal du départ, et la petite troupe s’aventura dans la nuit à travers la campagne.

Un grain de défiance était-il entré dans l’esprit du client de Fry-Craig ? Les paroles, absolument inattendues et inexplicables, prononcées par le guide, pouvaient-elles contrebalancer dans son esprit les deux mois de dévouement que les agents avaient mis à son service ? Non, en vérité ! Et cependant, Kin-Fo se demanda pourquoi Fry-Craig lui avaient conseillé ou de remettre sa visite au campement du Taï-ping, ou d’y renoncer. N’était-ce donc pas pour rejoindre Lao-Shen qu’ils avaient brusquement quitté Péking ? L’intérêt même des deux agents de la Centenaire n’était-il pas que leur client rentrât en possession de cette absurde et compromettante lettre ? Il y avait donc là une insistance assez peu compréhensible.

Kin-Fo ne manifesta rien des sentiments qui l’agitaient. Il avait repris sa place derrière le guide. Craig-Fry le suivaient, et ils allèrent ainsi pendant deux grandes heures.

Il devait être bien près de minuit, lorsque le guide, s’arrêtant, montra dans le nord une longue ligne noire, qui se profilait vaguement sur le fond un peu plus clair du ciel. En arrière de cette ligne s’argentaient quelques sommets, déjà éclairés par les premiers rayons de la lune, que l’horizon cachait encore.

« La Grande-Muraille ! dit le guide.

— Pouvons-nous la franchir ce soir même ? demanda Kin-Fo.

— Oui, si vous le voulez absolument ! répondit le guide.

— Je le veux ! »

Les chameaux s’étaient arrêtés.

« Je vais reconnaître la passe, dit alors le guide. Demeurez et attendez-moi. »

Il s’éloigna.

En ce moment, Craig et Fry s’approchèrent de Kin-Fo.

« Monsieur ?… dit Craig.

— Monsieur ? » dit Fry.

Et tous deux ajoutèrent :

« Avez-vous été satisfait de nos services, depuis deux mois que l’honorable William J. Bidulph nous a attachés à votre personne ?