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LES DEUX AMÉRIQUES.

boldt, qui attribue cette décroissance à une exploitation inconsidérée des forêts et par conséquent à l’épuisement des sources.

C’est près de là que Humboldt put se convaincre de la réalité des récits qui lui avaient été faits au sujet d’un arbre singulier, el palo de la vaca, l’arbre de la vache, qui fournit, au moyen d’incisions qu’on pratique dans son tronc, un lait balsamique très nourrissant.

La partie difficile du voyage commençait à Porto-Cabello, à l’ouverture des « llanos », plaines d’une uniformité absolue qui s’étendent entre les collines de la côte et la vallée de l’Orénoque.

« Je ne sais pas, dit Humboldt, si le premier aspect des « llanos » excite moins d’étonnement que celui des Andes. »

Rien, en effet, n’est plus frappant que cette mer d’herbes sur laquelle s’élèvent continuellement des tourbillons de poussière sans qu’on sente le moindre souffle d’air. Au milieu de cette plaine immense, à Calabozo, Humboldt essaya pour la première fois la puissance des gymnotes, anguilles électriques qu’on rencontre à chaque pas dans tous les affluents de l’Orénoque. Les Indiens, qui craignaient de s’exposer à la décharge électrique, proposèrent de faire entrer quelques chevaux dans le marais où se tenaient les gymnotes.

« Le bruit extraordinaire causé par les sabots des chevaux, dit Humboldt, fait sortir les gymnotes de la vase et les provoque au combat. Ces anguilles jaunâtres et livides, ressemblant à des serpents, nagent à la surface de l’eau et se pressent sous le ventre des quadrupèdes qui viennent troubler leur tranquillité. La lutte qui s’engage entre des animaux d’une organisation si différente, offre un spectacle frappant. Les Indiens, armés de harpons et de longues cannes, entourent l’étang de tous côtés et montent même dans les arbres dont les branches s’étendent horizontalement sur la surface de l’eau. Leurs cris sauvages et leurs longs bâtons empêchent les chevaux de prendre la fuite et de regagner les rives de l’étang. Les anguilles, étourdies par le bruit, se défendent au moyen des décharges répétées de leurs batteries électriques. Pendant longtemps, elles semblent victorieuses ; quelques chevaux succombent à la violence de ces secousses qu’ils reçoivent de tous côtés dans les organes les plus essentiels de la vie, et, étourdis à leur tour par la force et le nombre de ces secousses, ils s’évanouissent et disparaissent sous les eaux.

« D’autres, haletants, la crinière hérissée, les yeux hagards et exprimant la plus vive douleur, cherchent à s’enfuir loin du champ de bataille ; mais les Indiens les repoussent impitoyablement au milieu de l’eau. Ceux, en très petit nombre, qui parviennent à tromper la vigilance active des pêcheurs, regagnent