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LES DEUX AMÉRIQUES.

serait reconstitué. De même qu’il existe dans les Pyrénées une légende sur la brèche de Roland, de même les Indiens racontent qu’un de leurs héros, Bochica, fendit les rochers qui bouchaient le passage et dessécha la vallée de Bogota. Après quoi, content de son œuvre, il se retira dans la sainte ville d’Eraca, où il vécut deux mille ans en faisant pénitence et en s’imposant les privations les plus rigoureuses.

La cataracte de Tequendama, sans être la plus grande du globe, n’en offre pas moins un spectacle grandiose. La rivière, grossie de toutes les eaux de la vallée, a encore cent soixante-dix pieds de large à peu de distance au-dessus de sa chute ; mais, au moment où elle s’engouffre dans la crevasse, qui paraît avoir été formée par un tremblement de terre, sa largeur n’excède pas quarante pieds. La profondeur de l’abîme, où se précipite le Rio-Bogota, n’est pas inférieure à six cents pieds. Au-dessus de cette chute prodigieuse, s’élève constamment un nuage épais de vapeur, qui retombe presque aussitôt et contribue puissamment, dit-on, à la fertilité de la vallée.

Rien de plus frappant que le contraste entre la vallée de cette rivière et celle de la Magdalena. En haut, le climat et les productions de l’Europe, le blé, les chênes et les arbres de nos contrées ; en bas, les palmiers, la canne à sucre et tous les végétaux du tropique.

Une des curiosités naturelles les plus intéressantes que nos voyageurs aient rencontrées sur leur route est le pont d’Icononzo, que MM. de Humboldt et Bonpland passèrent au mois de septembre 1801. Au fond d’une de ces gorges, de ces « cañons » si profondément encaissés qu’on ne rencontre que dans les Andes, un petit ruisseau, le rio de Suma Paz, s’est frayé un chemin, par une étroite crevasse. Il serait à peu près impossible de le traverser, si la nature n’avait pris soin d’y disposer, l’un au-dessus de l’autre, deux ponts, qui sont à juste titre considérés comme les merveilles de la contrée.

Trois blocs de roches, séparés d’une des montagnes par le tremblement de terre qui produisit cette faille gigantesque, sont tombés de telle façon qu’ils se soutiennent mutuellement et forment une arche naturelle, à laquelle on parvient par un étroit sentier longeant le précipice. Au milieu de ce pont est percée une large ouverture, par laquelle on découvre la profondeur presque insondable de l’abîme, au fond duquel roule le torrent, avec un bruit effroyable, au milieu des cris incessants des oiseaux qui volent par milliers. À soixante pieds au-dessus de ce pont s’en trouve un second de cinquante pieds de long sur quarante de large et dont l’épaisseur au milieu ne dépasse pas huit pieds. Les naturels ont établi sur son bord, en guise de parapet, une faible balus-