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en face, ils se retranchent et s’emparent des points défendables sur la rive. Enfin, ne pouvant emporter la place après une attaque simultanée contre les défenses entamées par la mine, sachant qu’un corps d’armée arrive au secours de la garnison et va se présenter sur la rive gauche de l’Aude et tenter le passage[1], craignant de se trouver ainsi dans un campement dominé par la cité et exposé à une attaque sur les rives du fleuve, l’armée du vicomte lève le siège. Depuis le moment où elle se présente devant Carcassonne jusqu’au moment où elle se décide à retourner vers le sud, cette armée procède donc avec une connaissance pratique de l’art de la guerre assez remarquable, et qui fait un contraste avec ces expéditions folles de la noblesse française pendant le XVe siècle.

En effet, si l’on met en regard les documents militaires du XIIIe siècle et ceux du XVe, loin d’apercevoir un progrès, on signale plutôt une décadence. Sous Philippe-Auguste, sous saint Louis, sous Philippe le Hardi et Philippe le Bel, on voit des armées qui possèdent des traditions, des méthodes ; on reconnaît un ordre, une tactique, soit en campagne, soit devant les places fortes. Il semble qu’après les malheureuses journées de Crécy et de Poitiers, le lien solide déjà qui constitue les armées des XIIe et XIIIe siècles soit rompu en France, que la bravoure seule tienne lieu de l’art militaire. Du Guesclin fait une exception au milieu de ce désarroi. Lui, possède de véritables troupes et sait s’en servir. Mais, après le grand connétable, la confusion ne fait que s’accroître jusqu’au moment où le peuple entre dans l’arène, ou Charles VII et Louis XI constituent des armées royales indépendantes de la féodalité.

Ce ne sont ni les moyens d’attaque, ni les engins puissants qui manquent aux armées de la fin du XIVe siècle et du commencement du XVe : les mineurs du Nord, les engineurs, ouvriers, gens à gages, sont habiles et actifs ; mais l’ordre dans le commandement, l’art de diriger des troupes, de les répartir suivant le besoin, manquent complétement, tandis que certaines expéditions des XIIe et XIIIe siècles indiquent de la part des chefs autant de talent que d’expérience, souvent même des combinaisons profondes. L’investissement du Vexin, l’attaque et la prise du château Gaillard par Philippe-Auguste, sont des opérations militaires conduites avec toutes les qualités que l’on demande à un grand capitaine. Là, pas une fausse manœuvre, rien n’est abandonné au hasard. Le but entrevu dès l’origine est atteint pas à pas, méthodiquement, avec la prudence qui convient à un chef militaire. Les princes, les barons, les chevaliers qui avaient fait la guerre en Orient, en face des armées des califes et même des armées grecques, avaient contracté des habitudes militaires qui se

    licias nostras venerunt. » À cette époque, en 1240, la cité de Carcassonne était entourée de faubourgs considérables, faubourgs qui furent démolis après le siège, sur l’ordre de saint Louis.

  1. Au mois d’octobre, date du siège, l’Aude est habituellement guéable dans les environs de Carcassonne.