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perdirent quand la féodalité demeura en Occident. D’ailleurs le système féodal établi en Orient, en terre conquise, au milieu de races avec lesquelles la fusion était impossible, possède un caractère de force et d’unité, d’ordre et de mesure qu’il ne pouvait conserver en Occident, où les traditions, les mœurs antiques, les restes de l’organisation administrative des Romains, la religion, tendaient à le dissoudre. Le royaume de Jérusalem, celui de Chypre, sont des types purs du système féodal occidental ; ces suzerains ont des armées, ou du moins sont à la tête d’une organisation qui permet d’en former facilement.

La guerre faite en 1228 par les troupes lombardes à Jean d’Ibelin, sire de Baruth et roi de Chypre, les succès de ces troupes et leurs revers malgré leur nombre, sous les coups de l’armée féodale du roi, sont une des preuves éclatantes de la puissance de cette organisation développée en Orient par les barons occidentaux.

On est trop enclin à ne voir dans la féodalité que le fractionnement des pouvoirs parmi des seigneurs n’ayant entre eux que des liens souvent rompus ; on juge la féodalité sur ses derniers moments, alors que, minée par le pouvoir royal, par l’affranchissement des communes, par ses propres fautes et la ruine des grands fiefs, elle n’était plus qu’un rouage nuisible au milieu d’un État qui tendait à se transformer et à devenir monarchique.

Si la féodalité, en Occident, ne put avoir et n’eut jamais des armées, il n’en était pas de même en Orient, là où elle s’était constituée d’une seule pièce et où elle pouvait se développer conformément à son principe. L’unité d’action ressort de cette constitution. La féodalité telle que nous la voyons établie dans les royaumes de Jérusalem et de Chypre, admettait une haute cour dans laquelle tous les liges des suzerains avaient le droit de siéger. Cette sorte de parlement décidait de toutes les questions, non-seulement les procès entre gentilshommes, mais les affaires relatives à la guerre, à la transmission de la couronne, à la tutelle des princes mineurs.

En campagne, rien ne se faisait que d’après le conseil des barons, et le mot que l’on prête à Philippe-Auguste avant la bataille de Bouvines est exactement dans les mœurs militaires du temps. Le général n’obtenait le commandement supérieur, quand il y avait lieu, que par le suffrage de ses pairs, ainsi que nous l’avons vu pratiquer dans l’armée des croisés au siège d’Antioche, et ces barons des XIIe et XIIIe siècles, que l’on se plaît à présenter comme des brutaux, bons pour se jeter tête baissée dans une mêlée, étaient habituellement, au contraire, des hommes lettrés, orateurs, légistes, administrateurs et capitaines.

En 1218, les barons qui assiégeaient Damiette « charmaient les ennuis d’un long blocus en discutant les questions les plus abstraites du droit féodal » ; Philippe de Navarre, capitaine, légiste, diplomate, poëte, qui remit sur le trône de Chypre Ibelin, à l’aide de son épée et de sa haute raison, cite avec une vive admiration « la science d’Amaury II,