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[sommier]
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tout se tient, tout s’enchaîne comme au sein d’un organisme, et il n’est pas une partie dont on puisse dire : « Que fait-elle là ? »

Dans les œuvres inférieures du portail occidental de la cathédrale de Reims, on peut signaler plus d’un défaut. Ces trois ébrasements immenses des portes ne se relient pas parfaitement avec ce qui est placé au-dessus. On sent là une reprise, un changement dans la composition primitive, et un désir de produire un effet surprenant par l’accumulation surabondante des détails. Cependant, si l’on examine ce portail, — fort altéré d’ailleurs par de méchantes restaurations ; — que d’idées, que de savoir, que de hardiesses heureusement abordées et plus heureusement exprimées en pierre ! Les sommiers qui forment la naissance de la partie antérieure des trois voussures sont, comme composition et comme exécution, une des plus belles parties de cette œuvre prodigieuse. L’architecte a su donner à ces naissances, relativement étroites, la puissance d’un support par l’arrangement des sculptures. Celles-ci se combinent avec la construction, en font apercevoir la résistance. Tout cela est raisonné, vrai, facile à comprendre, logique, et tout pénétré d’un sentiment d’art sûr de l’effet qu’il veut produire.

Il s’agissait, entre deux archivoltes immenses et qui se touchent presque, de trouver un point d’appui, un point résistant à l’œil, sans tomber dans la sécheresse d’un pilastre, d’une colonne, d’un support rigide et vertical. Il fallait d’ailleurs, conformément au principe excellent des constructeurs de cette époque, consistant à ne jamais couper la sculpture ou les membres complets d’architecture par des joints ou des lits, se conformer à l’appareil qui convenait à une colossale superposition de sommiers. Il fallait faire naître ce support ou cet ensemble de supports, de rien ; développer peu à peu la résistance, non-seulement en apparence, mais de fait ; gagner par conséquent de la saillie ; obtenir de la fermeté à mesure qu’on accumulait les sommiers, car, à la réunion des deux gâbles qui couronnent les archivoltes, il fallait rejeter les eaux par une gargouille énorme. Terminer brusquement cette superposition de sommiers en encorbellement par une gargouille et par la réunion des deux gâbles, c’était produire pour l’œil un effet de bascule désagréable, presque inquiétant. Que fait l’architecte ? En retraite de la saillie de l’encorbellement et comme pour détruire l’effet de bascule, il pose une statue ; non une statue debout et grêle relativement à sa base, mais une statue assise, largement drapée et dans une pose tranquille. Puis derrière le dos de la statue, au nu de la jonction des rampants des gâbles, un haut pinacle à jour, au milieu duquel se loge encore une statue debout.

La figure 7 ne peut donner qu’une idée incomplète de cette belle composition qui, sur le monument, produit un effet saisissant. À la base est un verseau, figure moitié nue, finement rendue, au-dessus de laquelle s’épanouit un large bouquet de feuillage avec son tailloir. Une cariatide large, trapue, drapée, debout sur ce tailloir, porte sur ses épaules un