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boutissent les deux rampants des gâbles. Puis en retraite, sur un socle perforé, afin de laisser passer les eaux, s’assied un harpiste couronné ; derrière lui se dresse le pinacle. Le verseau, une assise ; le bouquet de feuillage, une assise ; la cariatide, une assise ; l’abaque, une assise ; la gargouille, trois assises ; le socle du harpiste, une assise, prise sous les rampants : en tout, huit assises de pierres énormes et entrant profondément derrière l’extrados des arcs, comme pour former tas de charge. La statuaire, admirablement mise à l’échelle de l’architecture, est belle, grande, simple. Rien n’est plus gracieux que cet épanouissement de plus en plus puissant, comme pour porter l’animal colossal qui le surmonte, terminé par ce joueur de harpe, et ce pinacle délicat protégeant une statue. Le contraste entre la partie inférieure ou la pierre projette des ombres vigoureuses et larges, et le couronnement élégant, tout brillant de lumière, est des plus heureux[1].

Il y a loin de cette alliance complète entre l’architecture et la sculpture, de cette exacte application d’une échelle admise, à ces superfétations d’ornements, de profils, de frontons, de tympans chargés de sculptures disparates, sans rapports d’échelles, que nous voyons accumuler sur la plupart de nos façades monumentales. Mais pourquoi nous plaindrions-nous de ces abus ? Ne ramèneront-ils pas, à cause même de leurs excès, le goût du public vers les perceptions bien conçues, bien ordonnées et savamment exécutées ?

Il est fort difficile de réunir deux archivoltes sur un point d’appui, et de les couronner par deux pignons ou gâbles, surtout si les archivoltes n’ont pas la même courbure, et si les gâbles n’ont pas des ouvertures égales, car alors les lignes sont boiteuses. Les maîtres du moyen âge se sont toujours adroitement tirés de cette difficulté, soit dans des conceptions grandioses, comme celle que nous venons de signaler, soit lorsqu’il s’agissait d’archivoltes d’édicules, de petits portails, de tombeaux. La sculpture vient alors en aide à l’architecte pour nourrir les sommiers trop maigres, pour détruire le mauvais effet des courbes boiteuses, pour masquer des pénétrations compliquées de profils. Sœur de l’architecture, non point son tyran ou son esclave, elle prend sa place dans le concert.

On sait que le système de structure de la voûte dite en arc d’ogive permet d’obtenir des ouvertures d’arcs de dimensions différentes et portant sur un même point d’appui ; que ces arcs peuvent avoir leurs naissances à des niveaux différents[2]. Alors le sommier de ces arcs semble parfois faire gauchir la colonne et son chapiteau. Soit, par exemple, fig. 8, en A, une colonne isolée portant deux arcs-doubleaux B d’ouver-

  1. La partie antérieure de la gargouille de pierre, brisée, a été remplacée au XVe siècle par une grosse tête de plomb assez grotesque. Les autres parties de ce sommier magistral (celui de gauche) ont peu souffert.
  2. Voyez Construction, fig. 49 et 49 bis.