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monte le Rhône, ou du moins elle prend un autre caractère en venant se mêler à l’influence orientale partie des bords du Rhin. Celle-ci est autre, et voici pourquoi : sur les bords de la Méditerranée, les populations avaient des rapports directs et constants avec l’Orient. Au XIIe siècle elles subissaient l’influence des arts orientaux contemporains et non l’influence archéologique des arts antérieurs, de là cette finesse et cette recherche que l’on rencontre dans les édifices de Provence qui datent de cette époque ; mais les arts byzantins, qui avaient laissé des traces sur les bords du Rhin, dataient de l’époque de Charlemagne ; depuis lors les rapports de ces contrées avec l’Orient avaient cessé d’être directs. Ces deux architectures, dont l’une avait puisé autrefois, et dont l’autre puisait encore aux sources orientales, se rencontrent dans la Haute-Saône, sur le sol bourguignon et dans la Champagne ; de là ces mélanges de style issus de l’architecture romaine du sol, de l’influence orientale sud contemporaine, et de l’influence orientale rhénane traditionnelle ; de là des monuments tels que les églises de Tournus, des abbayes de Vézelay, de Cluny, de Charlieu. Et cependant, ces mélanges forment un tout harmonieux, car ces édifices étaient exécutés par des hommes nés sur le sol, n’ayant subi que des influences dont ils ne connaissaient pas l’origine, dirigés parfois, comme à Cluny, par des étrangers qui ne se préoccupaient pas assez des détails de l’exécution pour que la tradition locale ne conservât pas une large part dans le mode de bâtir et de décorer les monuments. L’influence orientale ne devait pas pénétrer sur le sol gallo-romain par ces deux voies seulement. En 984, une vaste église avait été fondée à Périgueux, reproduisant exactement dans son plan et ses dispositions un édifice bien connu, Saint-Marc de Venise, commencé peu d’années auparavant. L’église abbatiale de Saint-Front de Périgueux est une église à coupoles sur pendentifs, élevée certainement sous la direction d’un Français qui avait étudié Saint-Marc, ou sur les dessins d’un architecte vénitien, par des ouvriers gallo-romains, car si l’architecture du monument est vénitienne ou quasi-orientale, la construction et les détails de l’ornementation appartiennent à la décadence romaine et ne rappellent en aucune façon les sculptures ou le mode de bâtir appliqués à Saint-Marc de Venise. Cet édifice, malgré son étrangeté à l’époque où il fut élevé et sa complète dissemblance avec les édifices qui l’avaient précédé dans cette partie des Gaules, exerça une grande influence sur les constructions élevées pendant les XIe et XIIe siècles, au nord de la Garonne, et fait ressortir l’importance des écoles monastiques d’architecture jusqu’à la fin du XIIe siècle. Un de nos archéologues les plus distingués[1] explique cette transfusion de l’architecture orientale aux confins de l’Occident, par la présence de colonies vénitiennes établies alors à Limoges et sur la côte occidentale. Alors le passage du détroit de Gibraltar présentait les plus grands risques à cause des nombreux pirates arabes qui tenaient les côtes d’Espagne et d’Afrique, et

  1. M. Félix de Verneilh (l’Architecture byzantine en France. Paris, 1852)