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logements de serfs, un moulin à bras et des mortiers ; p les logements et ateliers des cordonniers, bourreliers, armuriers, fabricants de boucliers, tourneurs, corroyeurs, orfèvres, serruriers, ouvriers fouleurs ; q le fruitier ; r les logements des pèlerins, des pauvres, leur cuisine et réfectoire.

Sous Charlemagne les établissements religieux avaient acquis des richesses et une importance déjà considérables ; ils tenaient la tête de l’enseignement, de l’agriculture, de l’industrie, des arts et des sciences ; seuls, ils présentaient des constitutions régulières, stables. C’était de leur sein que sortaient tous les hommes appelés à jouer un rôle en dehors de la carrière des armes. Depuis sa fondation jusqu’au concile de Constance, en 1005, l’ordre de Saint-Benoît avait fondé quinze mille soixante-dix abbayes dans le monde alors connu, donné à l’Église vingt-quatre papes, deux cents cardinaux, quatre cents archevêques, sept mille évêques. Mais cette influence prodigieuse avait été la cause de nombreux abus, même au sein du clergé régulier ; la règle de Saint-Benoît était fort relâchée dès le Xe siècle, les invasions périodiques des Normands avaient détruit des monastères, dispersé les moines ; la misère, le désordre qui en est la suite, altéraient les caractères de cette institution ; le morcellement féodal achevait de détruire ce que l’abus de la richesse et du pouvoir, aussi bien que le malheur des temps, avait entamé. L’institut monastique ne pouvait revivre et reprendre le rôle important qu’il était appelé à jouer pendant les XIe et XIIe siècles qu’après une réforme. La civilisation moderne, à peine naissante sous le règne de Charlemagne, semblait expirante au Xe siècle ; mais de l’ordre de Saint-Benoît, réformé par les abbés de Cluny, par la règle de Cîteaux, il devait surgir des rejetons vivaces. Au Xe siècle Cluny était un petit village du Mâconnais, qui devint, par testament, la propriété du duc d’Aquitaine, Guillaume le Pieux. Vers la fin de sa vie le duc Guillaume voulut, suivant l’usage d’un grand nombre de seigneurs puissants, fonder un nouveau monastère. Il manda Bernon, d’une noble famille de Séquanie, abbé de Gigny et de Baume, et voulut, en compagnie de ce saint personnage, chercher un lieu propice à la réalisation de son projet. « Ils arrivèrent enfin, dit la chronique, dans un lieu écarté de toute société humaine, si désert qu’il semblait en quelque sorte l’image de la solitude céleste. C’était Cluny. Mais comme le duc objectait qu’il n’était guère possible de s’établir en tel lieu, à cause des chasseurs et des chiens qui remplissaient et troublaient les forêts dont le pays était couvert, Bernon répondit en riant : Chassez les chiens et faites venir des moines ; car ne savez-vous pas quel profit meilleur vous demeurera des chiens de chasse ou des prières monastiques ? Cette réponse décida Guillaume, et l’abbaye fut créée[1]. » C’était vers 909. Nous croyons devoir transcrire ici le testament, l’acte de donation du duc Guillaume ; cette pièce est une œuvre remarquable autant par l’élévation et la simplicité du langage, que par les

  1. Histoire de l’abbaye de Cluny, par M. P. Lorain. Paris, 1845 ; p. 16.