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sortant par quelque poterne éloignée du point d’attaque ; mais s’il est timide ou démoralisé, s’il ne peut disposer d’une troupe audacieuse et dévouée, au point du jour son fossé sera comblé, le plancher de madriers légèrement incliné vers la courtine permettra au beffroi de s’avancer rapidement par son propre poids, les assaillants n’auront qu’à le maintenir. Sur les débris des hourds mis en pièces par les pierres lancées par les trébuchets, le pont mobile du beffroi s’abattra tout à coup, et une troupe nombreuse de chevaliers et de soldats d’élite se précipitera sur le chemin de ronde de la courtine (16). Mais cette catastrophe est prévue ; si la garnison est fidèle, en abandonnant la courtine prise, elle se renferme dans les tours qui l’interrompent d’espace en espace (17)[1] ; elle peut se rallier, enfiler le chemin de ronde et le couvrir de projectiles, faire par les deux portes A et B une brusque sortie pendant que l’assaillant cherche à descendre dans la ville, et avant qu’il soit trop nombreux, le culbuter, s’emparer du beffroi et l’incendier. Si la garnison forcée ne peut tenter ce coup hardi, elle se barricade dans les tours, et l’assaillant doit faire le siége de chacune d’elles, car au besoin chaque tour peut faire un petit fort séparé, indépendant ; beaucoup sont munies de puits, de fours et de caves pour conserver des provisions. Les portes qui mettent les tours en communication avec les chemins de ronde sont étroites, bien ferrées, fermées à l’intérieur, et renforcées de barres de bois qui rentrent dans l’épaisseur de la muraille, de sorte qu’en un instant le vantail peut être poussé et barricadé en tirant rapidement la barre de bois (voy. Fermeture).

On est frappé, lorsqu’on étudie le système défensif adopté du XIIe au XVIe siècle, avec quel soin on s’est mis en garde contre des surprises ; toutes les précautions sont prises pour arrêter l’ennemi et l’embarrasser à chaque pas par des dispositions compliquées, par des détours impossibles à prévoir. Évidemment un siége avant l’invention des bouches à feu n’était réellement sérieux pour l’assiégé comme pour l’assaillant que quand on en était venu à se prendre, pour ainsi dire, corps à corps. Une garnison aguerrie luttait avec quelques chances de succès jusque dans ses dernières défenses. L’ennemi pouvait entrer dans la ville par escalade, ou par une brèche, sans que pour cela la garnison se rendit ; car alors, renfermée dans les tours qui, je le répète, sont autant de forts, elle résistait longtemps, épuisait les forces de l’ennemi, lui faisait perdre du monde à chaque attaque partielle ; car il fallait briser un grand nombre de portes bien barricadées, se battre corps à corps sur des espaces étroits et embarrassés. Prenait-on le rez-de-chaussée d’une tour, les étages supérieurs conservaient encore des moyens puissants de défense. On voit que tout était calculé pour une lutte possible pied à pied. Les escaliers à vis qui donnaient accès aux divers étages des tours étaient facilement et promptement barricadés, de manière à rendre

  1. L’exemple que nous donnons ici est tiré de l’enceinte intérieure de la cité de Carcassonne, partie bâtie par Philippe le Hardi. Le plan des tours est pris au niveau de la courtine ; ce sont les tours dites de Daréja et Saint-Laurent, côté sud.