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observation que chacun peut faire) un édifice du moyen âge gagne plutôt qu’il ne perd à faire voir son appareil, les joints et lits de sa construction ; en peut-on dire autant des édifices bâtis depuis le XVIIIe siècle ? Dans la plupart de ces monuments, au contraire, la construction réelle n’est-elle pas tellement en désaccord avec les formes, qu’on est forcément entraîné à chercher les moyens propres à la dissimuler ? Imagine-t-on l’effet que produirait, par exemple, la colonnade du Louvre avec des joints et lits franchement accusés comme ils le sont sur la façade de Notre-Dame de Paris ? En cela donc on ne peut refuser aux architectes du moyen âge d’être vrais. On objectera peut-être ceci : que les Grecs et même les Romains n’ont pas accusé l’appareil, les moyens de la construction, le détail de la structure, et que cependant on ne saurait prétendre qu’ils ont ainsi manqué de goût en cessant d’être vrais. Les Grecs et les Romains, lorsqu’ils ont employé la pierre ou le marbre, ont eu en vue d’élever des édifices qui parussent tout d’une pièce ; ils posaient leurs pierres parfaitement jointives, sans mortier entre elles, de manière à ce que les sutures demeurassent invisibles. Chez les Grecs, l’idée de donner à un édifice l’aspect d’une matière homogène, comme le serait un monument taillé dans le roc, était dominante à ce point que, s’ils ne pouvaient employer des matériaux d’une extrême finesse et pureté, lorsqu’ils bâtissaient en pierre et non en marbre, ils revêtissaient cette pierre d’un stuc fin, coloré, qui cachait absolument ces joints et lits à peine visibles. Or nous avons adopté ou cru adopter les formes de l’architecture des Grecs et des Romains, et nous construisons comme les architectes du moyen âge, en posant nos pierres sur mortier ou plâtre. C’est alors que nous ne faisons pas preuve de goût, puisque notre construction est visible, malgré nos efforts pour la dissimuler, et que nous adoptons des formes évidemment altérées si l’appareil reste apparent. Si donc, en construction, pour montrer du goût il faut être vrai, les anciens, comme les artistes du moyen âge, étaient des gens de goût, et nous ne saurions aujourd’hui prétendre au même avantage.

Passons aux dispositions générales. On ne saurait nier que nos églises du moyen âge, grandes ou petites, remplissaient parfaitement leur objet ; que les plans de ces édifices, empruntés le plus souvent à la basilique romaine, mais profondément modifiés suivant les besoins et les moyens de construction, étaient bien conçus, puisque, depuis lors, on n’a rien su trouver de mieux, et que, même dans les temps où l’architecture du moyen âge était considérée comme un art barbare, on n’a fait autre chose que de copier ces plans, en les gâtant toutefois. La belle disposition des sanctuaires avec collatéraux, qui appartient au moyen âge, est non-seulement propre à l’objet, mais produit infailliblement un très-grand effet. Or cette disposition est simple, facile à comprendre, favorable aux développements des cérémonies du culte et à toutes les décorations les plus somptueuses. Partout une circulation facile, de l’air et de la lumière. Si, dans les châteaux des XIIIe, XIVe et XVe siècles, on ne découvre pas ces