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nature, des avenues rectilignes, par exemple, des quinconces, des cascades symétriques entremêlées de formes architectoniques, il a fait perdre à la nature le style, mais il a pu y substituer (en s’appuyant sur des principes qu’il a établis) celui que son génie sait parfois évoquer. À plus forte raison, si l’homme touche à l’œuvre de l’homme, s’il veut en prendre des parties, comme on prend des matériaux à la carrière ou des arbres dans la forêt, enlève-t-il à cette œuvre le style. Pour que le style reparaisse, il faut qu’un nouveau principe, comme un souffle, vienne animer ces matériaux.

Les maîtres du moyen âge l’ont bien entendu ainsi. Ils avaient à leur disposition l’art roman, descendance de l’architecture de l’empire, épurée par un apport grec-byzantin. Cet art ne manquait ni de grandeur, ni même d’originalité. Les Occidentaux avaient su en faire un produit presque indigène. Cependant, après le grand essor qu’il avait pris dès les premières croisades, cet art, arrivé bien vite à une certaine perfection relative, était à bout de souffle. Il tournait dans un cercle peu étendu, parce qu’il ne reposait pas sur un principe neuf, entier, absolu, et qu’il s’était borné à étudier la forme sans trop se préoccuper du fond. On construisait mieux, on arrivait même à construire d’après des méthodes nouvelles ; mais le principe de structure ne se modifiait pas. L’ornementation était plus élégante, les profils délicatement tracés, mais cette ornementation ne reposait sur aucune observation neuve, ces profils n’indiquaient pas nettement leur destination. Les architectes romans épuraient leur goût, ils recherchaient le mieux, le délicat, ils raffinaient sur la forme, mais ils ne pouvaient trouver le style, qui est la marque de l’idée cramponnée à un principe générateur, en vue d’un résultat clairement défini. Ce principe générateur, c’est l’emploi de la matière en raison de ses qualités, et en laissant apparaître toujours le moyen, comme dans le corps humain on distingue la charpente du squelette, l’attache des muscles et le siège des organes…, la forme n’étant que la conséquence de cet emploi. Le résultat…, c’est que l’ensemble du monument, aussi bien que chacune de ses parties, répond exactement, et sans concession aucune, à la destination.

Aussi cet art de l’école française qui se constitua vers la fin du XIIe siècle, fut-il, au milieu de la civilisation ébauchée du moyen âge, de la confusion des idées anciennes avec les aspirations nouvelles, comme une fanfare de trompettes au milieu des bourdonnements d’une foule. Chacun se serra autour de ce noyau d’artistes et d’artisans qui avaient la puissance d’affirmer le génie longtemps comprimé d’une nation. Noblesse, clergé, bourgeoisie, prodiguèrent leurs trésors pour élever des églises, des palais, des châteaux, des hôtels, des établissements publics, des maisons, d’après le nouveau principe adopté, et s’empressèrent de jeter bas leurs constructions antérieures. Et il ne paraît pas qu’alors personne songeât à gêner ces artistes dans les développements de leurs principes. C’est qu’en effet, on ne gêne que les artistes qui n’en possèdent pas.