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priorité. Chacun puisait au fonds commun latin pour les arts comme pour les langues d’Occident, du VIIIe au XIe siècle ; mais qu’on nous montre ailleurs qu’en France, et qu’au nord de la Loire, avant 1130, un système de voûtes tel que celui admis dans les constructions de Vézelay dès le commencement du XIIe siècle, et à Saint-Denis en 1140, alors nous serons les premiers à reconnaître ce qu’on voudrait si bien nous prouver en France, savoir : que nous n’avons jamais possédé une architecture propre, pas plus au XIIe siècle qu’au XIXe siècle. Jusqu’à ce que cette preuve soit faite, nous continuerons à répéter : Il n’y a d’architecture originale que celle qui s’appuie sur un nouveau principe, sur un principe non encore admis. Le système de voûtes inauguré en France, au nord de la Loire de 1130 à 1150, ne se trouve nulle part avant cette époque ; ce système n’est pas seulement une forme, nouvelle alors, ou un procédé ; c’est tout un principe qui s’étend aux diverses parties constituant un édifice et qui oblige de coordonner ces parties suivant certaines lois déduites conformément à la logique : or, l’architecture inaugurée en France de 1130 à 1150 était véritablement neuve alors, sans précédents, indépendante des formes acceptées jusqu’alors ; donc cette architecture peut, au meilleur titre, être appelée française[1]. Laissons pour le moment le système de travées des nefs rhénanes, et reprenons l’étude des édifices qui appartiennent à nos écoles. Nous venons de voir (fig. 2) une travée composée de deux grosses piles portant des arcs-doubleaux sur la nef principale, avec pile intermédiaire plus faible, divisant le collatéral pour le pouvoir fermer par des voûtes carrées, et portant une ferme de charpente sur cette nef principale pour diminuer la portée des lambris de bois. Voici maintenant un autre système moins ancien que celui de la figure 2, et appartenant à une autre province, où les piles sont égales et, divisant le collatéral en voûtes sur plan carré, donnent, sur la nef centrale, des plans barlongs que l’on a prétendu voûter, suivant une donnée déjà complètement étrangère au système romain. Il s’agit de la nef de l’église abbatiale de Vézelay (fig. 4) ; premières années du XIIe siècle. Cette nef, dont nous donnons une travée en A, possède des arcs-doubleaux sur

  1. En 1845, M. Vitet écrivait ceci : « Que tous ceux à qui ces questions inspirent un sérieux intérêt cessent de s’évertuer à prouver, les uns que l’ogive nous est venue d’Orient, les autres qu’elle est indigène : querelles vides et oiseuses ! Qu’ils cherchent par qui a été mis en œuvre le système à ogive ; pourquoi l’influence de ce système a été si grande et si universelle, comment pendant trois siècles il a pu exercer sur une moitié de l’Europe une absolue souveraineté ; qu’ils cherchent enfin si la naissance et les progrès de ce système ne sont pas inséparablement liés à la grande régénération des sociétés modernes, dont le XIIe siècle voit éclore les premiers germes… Les révolutions architecturales ainsi envisagées ne se confondent plus avec ces fantaisies futiles et éphémères qui font préférer telle étoffe à telle autre pendant un certain temps ; elles sont de sérieuses, de véritables révolutions, elles expriment des idées. » (Monographie de Notre-Dame de Noyon, p. 130.)