Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’airain de sa proue frémissante ; et vers la gauche aussitôt, mille bras dirigent à la fois et les avirons et les voiles. Ici l’abîme s’enfle, et nous soulève jusqu’aux cieux ; là, s’affaissant tout à coup, il nous précipite aux enfers. Trois fois le monstre aboyant hurla dans ses antres sans fond ; trois fois nous vîmes l’écume jaillissante s’élancer vers la nue, et retomber en rosée abondante.

Cependant le jour fuit, l’aquilon s’endort : épuisés de fatigues, et ne sachant quelle route suivre dans les ténèbres, nous descendons sur la côte des Cyclopes. La rade est inaccessible aux vents, spacieuse et sûre ; mais auprès tonne l’Etna, entouré d’épouvantables ruines. Tantôt, parmi de noires vapeurs, il pousse dans les airs d’épais tourbillons de fumée, des torrens de cendres ardentes, et vomit des gerbes de feu qui montent jusqu’aux astres ; tantôt, arrachant ses entrailles, il les rejette avec fureur de ses flancs entr’ouverts, lance en grondant contre le ciel des marbres calcinés, des rocs brûlans, et bouillonne sous ses voûtes profondes. Si l’on en croit la renommée, le corps d’Encelade, à demi brûlé par la foudre, gît étendu sous ces masses volcaniques. L’énorme Etna le presse de tout son poids. Du fond de ces béantes fournaises, le géant exhale encore des flammes ; et chaque fois qu’il s’agite sous le faix qui l’accable, la Sicile tremble et gémit dans son vaste contour, et l’horizon se couvre de nuages sulfureux. Cachés toute la nuit dans l’épaisseur des forêts, nous admirons avec effroi ces jeux terribles de la nature, sans pouvoir découvrir la cause des tonnerres qui nous étonnent.