Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/253

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leur gloire, ils s’endorment sans remords au sein des voluptés. » Tels sont les bruits que l’odieuse déesse fait circuler de bouche en bouche parmi les peuples étonnés. Tout à coup dirigeant son vol vers le palais d’Iarbe, elle arrive, elle allume dans cette âme altière le feu de la jalousie, et l’embrase d’un noir courroux.

Fruit des amours d’Ammon et de la nymphe Garamantis, Iarbe avait élevé dans ses vastes états cent temples magnifiques, cent autels superbes au souverain des dieux : là, consacrée par ses mains, une flamme religieuse brûlait sans jamais s’éteindre, et veillait nuit et jour en l’honneur des Immortels : sans cesse la terre y fumait arrosée du sang des victimes ; sans cesse de nouvelles guirlandes en fleurissaient les portiques. Hors de lui-même, et bouillant de fureur à ces récits injurieux, il court aux pieds des autels, prend à témoin les dieux dont la majesté l’environne, et, levant au ciel ses mains suppliantes, implore le maître du tonnerre. « Ô Jupiter tout-puissant ! toi pour qui le Maure, assis dans ses banquets sur des lits somptueux, fait couler à longs flots le vin pur des libations, tu vois à quel point on m’outrage ! Eh quoi, mon père, les carreaux que tu lances n’inspirent-ils qu’un vain effroi ? et, perdus dans les airs, tes foudres, épouvante du monde, n’ébranlent-ils la nue que par des éclats sans effets ? Une femme fugitive, errante sur mes frontières, y mendie, l’or en main, un chétif asyle : ma pitié lui cède un rivage inculte, lui dicte les lois du marché : et c’est elle qui rejette aujourd’hui mon trône