Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/425

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ont outragées. Le spectre, honteux et tremblant, cherchait à cacher son opprobre, lorsque Énée, le reconnaissant, non sans peine, le console en ces mots : « Noble guerrier, digne rejeton du grand Teucer, ô Déiphobe ! quel barbare s’est fait un jeu cruel de ces atroces vengeances ? quelle rage impie s’est acharnée sur toi ? La renommée publiait qu’en cette nuit désastreuse où s’écroula Pergame, on t’avait vu, couvert du sang ennemi, et fatigué d’un long carnage, tomber expirant sur un monceau de Grecs immolés par tes coups. Alors je t’élevai moi-même sur le rivage de Rhétée un tombeau qui attend encore ta cendre ! et trois fois, évoquant tes Mânes, je prononçai l’adieu suprême. Là je gravai tes armes ; là ton nom doit revivre. Mais ta dépouille, ami, je n’ai pu la découvrir, je n’ai pu la rendre, en partant, à la terre de nos aïeux. »

Le fils de Priam répond en soupirant : « Non, tu n’as rien omis, prince magnanime ! Tout ce qu’on doit aux morts, tu l’as fait pour Déiphobe et pour son ombre malheureuse. C’est la rigueur de ma destinée, c’est le forfait d’Hélène, qui m’ont précipité dans ce gouffre de maux : voilà les gages que sa tendresse m’a laissés. Tu te souviens, hélas !… et comment l’oublier jamais ?… tu te souviens quelles joies trompeuses signalèrent cette nuit d’effroi, dernière nuit d’Ilion, quand le fatal colosse franchit nos superbes remparts, et s’avança, portant une armée dans ses flancs. La perfide Hélène, simulant des danses et des orgies sacrées, promenait autour des autels un chœur insensé de Bacchantes ; et secouant