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jean d’agrève.

l’aiguille d’aimant d’où la belle main venait de se retirer.

Mon ami offrit son bras et conduisit les deux dames à la table du lunch, non loin de la place où l’amiral me retint. Je l’observai curieusement : contraint d’abord, il s’anima bientôt, se détendit, se mit à parler avec gaîté, la gaîté du voyageur heureux sans savoir pourquoi, quand il part sous le premier rayon de soleil du matin. Je n’entendais pas ce qu’il disait ; mais je connaissais bien mon Jean ; je savais ce que signifiaient ces accès d’éloquence fiévreuse succédant au mutisme accoutumé, ces éclairs du regard : où brillait le feu du démon secret, cet air de machine sous pression, comme nous l’appelions, qui jetait soudain un rayonnement tendre et hardi sur le masque de froideur voulue.

Sa voisine répondait à peine. Je ne surpris pas un geste de coquetterie dans l’immobilité qu’elle gardait. D’où venait à cette singulière femme le voile d’extase qui transfigurait son visage ? De ce qu’elle entendait ? De ce qu’elle voyait ? À son attitude, au pli de son front et à la contraction de ses sourcils, on la sentait attentive, toute pénétrée par les mots qui tombaient dans son oreille ; mais les grands