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LES RUINES.

Depuis trois siècles surtout, les lumières se sont accrues, propagées ; la civilisation, favorisée de circonstances heureuses, a fait des progrès sensibles ; les inconvénients mêmes et les abus ont tourné à son avantage ; car si les conquêtes ont trop étendu les États, les peuples, en se réunissant sous un même joug, ont perdu cet esprit d’isolement et de division qui les rendait tous ennemis : si les pouvoirs se sont concentrés, il y a eu, dans leur gestion, plus d’ensemble et plus d’harmonie : si les guerres sont devenues plus vastes dans leurs masses, elles ont été moins meurtrières dans leurs détails : si les peuples y ont porté moins de personnalité, moins d’énergie, leur lutte a été moins sanguinaire, moins acharnée ; ils ont été moins libres, mais moins turbulents ; plus amollis, mais plus pacifiques. Le despotisme même les a servis ; car si les gouvernements ont été plus absolus, ils ont été moins inquiets et moins orageux ; si les trônes ont été des propriétés, ils ont excité, à titre d’héritage, moins de dissensions, et les peuples ont eu moins de secousses ; si enfin les despotes, jaloux et mystérieux, ont interdit toute connaissance de leur administration, toute concurrence au maniement des affaires, les passions, écartées de la carrière politique, se sont portées vers les arts, les sciences naturelles, et la sphère des idées en tout genre s’est agrandie : l’homme, livré aux études abstraites, a mieux saisi sa place dans la