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DE LA MAGIE.

les Juifs étaient en possession de les vendre aux dames romaines. Ceux de cette nation qui ne pouvaient devenir de riches courtiers faisaient des prophéties ou des philtres.

Toutes ces extravagances, ou ridicules, ou affreuses, se perpétuèrent chez nous, et il n’y a pas un siècle qu’elles sont décréditées. Des missionnaires ont été tout étonnés de trouver ces extravagances au bout du monde : ils ont plaint les peuples à qui le démon les inspirait. Eh ! mes amis, que ne restiez-vous dans votre patrie ? vous n’y auriez pas trouvé plus de diables, mais vous y auriez trouvé tout autant de sottises.

Vous auriez vu des milliers de misérables assez insensés pour se croire sorciers, et des juges assez imbéciles et assez barbares pour les condamner aux flammes. Vous auriez vu une jurisprudence établie en Europe sur la magie, comme on a des lois sur le larcin et sur le meurtre : jurisprudence fondée sur les décisions des conciles. Ce qu’il y avait de pis, c’est que les peuples, voyant que la magistrature et l’Église croyaient à la magie, n’en étaient que plus invinciblement persuadés de son existence : par conséquent, plus on poursuivait les sorciers, plus il s’en formait. D’où venait une erreur si funeste et si générale ? de l’ignorance : et cela prouve que ceux qui détrompent les hommes sont leurs véritables bienfaiteurs.

On a dit que le consentement de tous les hommes était une preuve de la vérité. Quelle preuve ! Tous les peuples ont cru à la magie, à l’astrologie, aux oracles, aux influences de la lune. Il eût fallu dire au moins que le consentement de tous les sages était, non pas une preuve, mais une espèce de probabilité. Et quelle probabilité encore ! Tous les sages ne croyaient-ils pas, avant Copernic, que la terre était immobile au centre du monde ?

Aucun peuple n’est en droit de se moquer d’un autre. Si Rabelais appelle Picatrix mon révérend père en diable[1], parce qu’on enseignait la magie à Tolède, à Salamanque et à Séville, les Espagnols peuvent reprocher aux Français le nombre prodigieux de leurs sorciers.

La France est peut-être, de tous les pays, celui qui a le plus uni la cruauté et le ridicule. Il n’y a point de tribunal en France qui n’ait fait brûler beaucoup de magiciens. Il y avait dans l’ancienne Rome des fous qui pensaient être sorciers ; mais on ne trouva point de barbares qui les brûlassent,

  1. Livre Ier. chapitre xxiii.