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CONCERNANT ALEXANDRE ET LES JUIFS.

Péluse en sept jours. C’est ainsi qu’Arrien, Quinte-Curce, Diodore, Paul Orose même, le rapportent fidèlement d’après le journal d’Alexandre.

Que fait Josèphe pour relever sa nation sujette des Perses, tombée sous la puissance d’Alexandre, avec toute la Syrie, et honorée depuis de quelques priviléges par ce grand homme ? Il prétend qu’Alexandre, en Macédoine, avait vu en songe le grand-prêtre des Juifs, Jaddus[1] (supposé qu’il y eût en effet un prêtre juif dont le nom finît en us) ; que ce prêtre l’avait encouragé à son expédition contre les Perses, que c’était par cette raison qu’Alexandre avait attaqué l’Asie. Il ne manqua donc pas, après le siége de Tyr, de se détourner de cinq ou six journées de chemin pour aller voir Jérusalem. Comme le grand-prêtre Jaddus avait autrefois apparu en songe à Alexandre, il reçut aussi en songe un ordre de Dieu d’aller saluer ce roi ; il obéit, et, revêtu de ses habits pontificaux, suivi de ses lévites en surplis, il alla en procession au-devant d’Alexandre. Dès que ce monarque vit Jaddus, il reconnut le même homme qui l’avait averti en songe, sept ou huit ans auparavant, de venir conquérir la Perse, et il le dit à Parménion. Jaddus avait sur sa tête son bonnet orné d’une lame d’or, sur laquelle était gravé un mot hébreu. Alexandre, qui, sans doute, entendait l’hébreu parfaitement, reconnut aussitôt le nom de Jéhovah, et se prosterna humblement, sachant bien que Dieu ne pouvait avoir que ce nom. Jaddus lui montra aussitôt des prophéties qui disaient clairement « qu’Alexandre s’emparerait de l’empire des Perses », prophéties qui n’avaient point été faites après la bataille d’Issus. Il le flatta que Dieu l’avait choisi pour ôter à son peuple chéri toute espérance de régner sur la terre promise ; ainsi qu’il avait choisi autrefois Nabuchodonosor et Cyrus, qui avaient possédé la terre promise l’un après l’autre. Ce conte absurde du romancier Josèphe ne devait pas, ce me semble, être copié par Rollin, comme s’il était attesté par un écrivain sacré.

Mais c’est ainsi qu’on a écrit l’histoire ancienne, et bien souvent la moderne[2].

  1. C’est Iaddoua.
  2. Le Talmud de Babylone fait la même histoire sur Alexandre. Seulement le grand-prêtre n’est pas Iaddoua, mais Siméon le Juste. Les Samaritains racontent aussi l’entrevue d’Alexandre et du grand-prêtre de Jérusalem. (G. A.)