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CHAPITRE III.

pants de son essence et de sa béatitude. Ces êtres n’étaient pas : il voulut, et ils furent[1]. »

On voit assez que cet exorde, véritablement sublime, et qui fut longtemps inconnu aux autres nations, n’a jamais été que faiblement imité par elles.

Ces êtres nouveaux furent les demi-dieux, les esprits célestes, adoptés ensuite par les Chaldéens, et chez les Grecs par Platon. Les Juifs les admirent, quand ils furent captifs à Babylone ; ce fut là qu’ils apprirent les noms que les Chaldéens avaient donnés aux anges, et ces noms n’étaient pas ceux des Indiens. Michaël, Gabriel, Raphaël, Israël même, sont des mots chaldéens qui ne furent jamais connus dans l’Inde.

C’est dans le Shasta qu’on trouve l’histoire de la chute de ces anges. Voici comme le Shasta s’exprime :

« Depuis la création des Debtalog (c’est-à-dire des anges), la joie et l’harmonie environnèrent longtemps le trône de l’Éternel. Ce bonheur aurait duré jusqu’à la fin des temps ; mais l’envie entra dans le cœur de Moisaor et des anges ses suivants. Ils rejetèrent le pouvoir de perfectibilité dont l’Éternel les avait doués dans sa honte : ils exercèrent le pouvoir d’imperfection ; ils firent le mal à la vue de l’Éternel. Les anges fidèles furent saisis de tristesse. La douleur fut connue pour la première fois. »

Ensuite la rébellion des mauvais anges est décrite. Les trois ministres de Dieu, qui sont peut-être l’original de la Trinité de Platon, précipitent les mauvais anges dans l’abîme. À la fin des temps. Dieu leur fait grâce, et les envoie animer les corps des hommes.

Il n’y a rien dans l’antiquité de si majestueux et de si philosophique. Ces mystères des brachmanes percèrent enfin jusque dans la Syrie : il fallait qu’ils fussent bien connus, puisque les Juifs en entendirent parler du temps d’Hérode. Ce fut peut-être alors qu’on forgea, suivant ces principes indiens, le faux livre d’Hénoch, cité par l’apôtre Jude, dans lequel il est dit quelque chose de la chute des anges. Cette doctrine devint depuis le fondement de la religion chrétienne[2].

  1. Voyez le Dictionnaire philosophique, aux mots Adam, Alcoran, Ange, Ézour-Veidam ; et la neuvième des Lettres chinoises, dans les Mélanges (année 1776).
  2. Le serpent dont il est parlé dans la Genèse devint le principal mauvais ange. On lui donna tantôt le nom de Satan, qui est un mot persan, tantôt celui de Lucifer, étoile du matin, parce que la Vulgate traduisit le mot Hélel par celui de Lucifer (voyez Introduction, paragraphe xlviii). Isaïe, insultant à la mort d’un roi de Babylone, lui dit par une figure de rhétorique : Comment es-tu tombée du ciel, étoile du matin, Lucifer ? On a pris ce nom pour celui du diable, et on a appliqué ce passage à la chute des anges. C’est encore le fondement du poëme de Milton. Mais Milton est bien moins raisonnable que le Shasta indien. Le Shasta ne pousse point l’extravagance jusqu’à faire déclarer la guerre à Dieu par les anges ses créatures, et à rendre quelque temps la victoire indécise. Cet excès était réservé à Milton.

    N. B. Tout ce morceau est tiré principalement de M. Howel, qui a demeuré trente ans avec les brames, et qui entend très-bien leur langue sacrée. (Note de Voltaire.)