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CHAPITRE IV.

CHAPITRE IV.


Des brachmanes, du Veidam et de l’Ézour-Veidam.


Si l’Inde, de qui toute la terre a besoin, et qui seule n’a besoin de personne, doit être par cela même la contrée la plus anciennement policée, elle doit conséquemment avoir eu la plus ancienne forme de religion. Il est très-vraisemblable que cette religion fut longtemps celle du gouvernement chinois, et qu’elle ne consistait que dans le culte pur d’un Être suprême, dégagé de toute superstition et de tout fanatisme.

Les premiers brachmanes avaient fondé cette religion simple, telle qu’elle fut établie à la Chine par ses premiers rois ; ces brachmanes gouvernaient l’Inde. Lorsque les chefs paisibles d’un peuple spirituel et doux sont à la tête d’une religion, elle doit être simple et raisonnable, parce que ces chefs n’ont pas besoin d’erreurs pour être obéis. Il est si naturel de croire un Dieu unique, de l’adorer, et de sentir dans le fond de son cœur qu’il faut être juste, que, quand des princes annoncent ces vérités, la foi des peuples court au-devant de leurs paroles. Il faut du temps pour établir des lois arbitraires ; mais il n’en faut point pour apprendre aux hommes rassemblés à croire un Dieu, et à écouter la voix de leur propre cœur.

Les premiers brachmanes, étant donc à la fois rois et pontifes, ne pouvaient guère établir la religion que sur la raison universelle. Il n’en est pas de même dans les pays où le pontificat n’est pas uni à la royauté. Alors les fonctions religieuses, qui appartiennent originairement aux pères de famille, forment une profession séparée ; le culte de Dieu devient un métier ; et, pour faire valoir ce métier, il faut souvent des prestiges, des fourberies, et des cruautés.

La religion dégénéra donc chez les brachmanes dès qu’ils ne furent plus souverains.

Longtemps avant Alexandre, les brachmanes ne régnaient plus dans l’Inde ; mais leur tribu, qu’on nomme Caste, était toujours la plus considérée, comme elle l’est encore aujourd’hui ; et c’est dans cette même tribu qu’on trouvait les sages vrais ou faux, que les Grecs appelèrent gymnosophistes. Il est difficile de nier qu’il n’y eût parmi eux, dans leur décadence, cette espèce de