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CHAPITRE XLIV.

soit musulmans ; et, outre ces vingt rois, un nombre considérable de seigneurs indépendants et pauvres, qui venaient à cheval, armés de toutes pièces, et suivis de quelques écuyers, offrir leurs services aux princes ou aux princesses qui étaient en guerre. Cette coutume, déjà répandue en Europe, ne fut nulle part plus accréditée qu’en Espagne. Les princes à qui ces chevaliers s’engageaient leur ceignaient le baudrier, et leur faisaient présent d’une épée, dont ils leur donnaient un coup léger sur l’épaule. Les chevaliers chrétiens ajoutèrent d’autres cérémonies à l’accolade. Ils faisaient la veille des armes devant un autel de la Vierge : les musulmans se contentaient de se faire ceindre d’un cimeterre. Ce fut là l’origine des chevaliers errants, et de tant de combats particuliers. Le plus célèbre fut celui qui se fit après la nuit du roi don Sanche, assassiné en assiégeant sa sœur Ouraca dans la ville de Zamore. Trois chevaliers soutinrent l’innocence de l’infante contre don Diègue de Lare, qui l’accusait. Ils combattirent l’un après l’autre en champ clos, en présence des juges nommés de part et d’autre. Don Diègue renversa et tua deux des chevaliers de l’infante ; et le cheval du troisième ayant les rênes coupées, et emportant son maître hors des barrières, le combat fut jugé indécis.

Parmi tant de chevaliers, le Cid fut celui qui se distingua le plus contre les musulmans. Plusieurs chevaliers se rangèrent sous sa bannière ; et tous ensemble, avec leurs écuyers et leurs gendarmes, composaient une armée couverte de fer, montée sur les plus beaux chevaux du pays. Le Cid vainquit plus d’un petit roi maure ; et s’étant ensuite fortifié dans la ville d’Alcasas, il s’y forma une souveraineté.

Enfin il persuada à son maître Alfonse VI, roi de la Vieille-Castille, d’assiéger la ville de Tolède, et lui offrit tous ses chevaliers pour cette entreprise. Le bruit de ce siége et la réputation du Cid appelèrent de l’Italie et de la France beaucoup de chevaliers et de princes. Raimond, comte de Toulouse, et deux princes du sang de France, de la branche de Bourgogne, vinrent à ce siége. Le roi mahométan, nommé Hiaja, était fils d’un des plus généreux princes dont l’histoire ait conservé le nom. Almamon, son père, avait donné dans Tolède un asile à ce même roi Alfonse que son père Sanche persécutait alors. Ils avaient vécu longtemps ensemble dans une amitié peu commune ; et Almamon, loin de le retenir, quand après la mort de Sanche il devint roi, et par conséquent à craindre, lui avait fait part de ses trésors : on dit même qu’ils s’étaient séparés en pleurant. Plus d’un chevalier