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HENRI IV ET GRÉGOIRE VII.

Henri IV, trop occupé en Allemagne, ne pouvait passer en Italie. Il parut se venger d’abord moins comme un empereur allemand que comme un seigneur italien. Au lieu d’employer un général et une armée, il se servit, dit-on, d’un bandit nommé Cencius, très-considéré par ses brigandages, qui saisit le pape dans Sainte-Marie-Majeure, dans le temps qu’il officiait : des satellites déterminés frappèrent le pontife, et l’ensanglantèrent. On le mena prisonnier dans une tour dont Cencius s’était rendu maître, et on lui fit payer cher sa rançon.

(1076) Henri IV agit un peu plus en prince, en convoquant à Worms un concile d’évêques, d’abbés et de docteurs, dans lequel il fit déposer le pape. Toutes les voix, à deux près, conclurent à la déposition. Mais il manquait à ce concile des troupes pour l’aller faire respecter à Rome. Henri ne fit que commettre son autorité, en écrivant au pape qu’il le déposait, et au peuple romain qu’il lui défendait de reconnaître Grégoire.

Dès que le pape eut reçu ces lettres inutiles, il parla ainsi dans un concile à Rome : « De la part de Dieu tout-puissant, et par notre autorité, je défends à Henri, fils de notre empereur Henri, de gouverner le royaume teutonique et l’Italie ; j’absous tous les chrétiens du serment qu’ils lui ont fait ou feront ; et je défends que qui que ce soit le serve jamais comme roi. » On sait que c’est là le premier exemple d’un pape qui prétend ôter la couronne à un souverain. Nous avons vu auparavant des évêques déposer Louis le Débonnaire[1] ; mais il y avait au moins un voile à cet attentat. Ils condamnèrent Louis, en apparence seulement, à la pénitence publique ; et personne n’avait jamais osé parler, depuis la fondation de l’Église, comme Grégoire VII. Les lettres circulaires du pape respirèrent le même esprit que sa sentence. Il y redit plusieurs fois que les évêques sont au-dessus des rois, et faits pour les juger : expressions non moins adroites que hardies, qui devaient ranger sous son étendard tous les prélats du monde.

Il y a grande apparence que quand Grégoire VII déposa ainsi son souverain par de simples paroles, il savait bien qu’il serait secondé par les guerres civiles d’Allemagne, qui recommencèrent avec plus de fureur. Un évêque d’Utrecht avait servi à faire condamner Grégoire. On prétendit que cet évêque, mourant d’une mort soudaine et douloureuse, s’était repenti de la déposition du pape, comme d’un sacrilège. Les remords vrais ou faux de l’évéque en donnèrent au peuple. Ce n’était plus le temps où

  1. Chapitre xxiii.