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D’OTHON IV ET DE PHILIPPE-AUGUSTE.

était Montjoie saint Denis. Le cri des Allemands était Kyrie, eleison.

Une preuve que les chevaliers bien armés ne couraient guère d’autre risque que d’être démontés, et n’étaient blessés que par un très-grand hasard, c’est que le roi Philippe-Auguste, renversé de son cheval, fut longtemps entouré d’ennemis, et reçut des coups de toute espèce d’armes sans verser une goutte de sang.

On raconte même qu’étant couché par terre, un soldat allemand voulut lui enfoncer dans la gorge un javelot à double crochet, et n’en put jamais venir à bout. Aucun chevalier ne périt dans la bataille, sinon Guillaume de Longchamp, qui malheureusement mourut d’un coup dans l’œil, adressé par la visière de son casque.

On compte du côté des Allemands vingt-cinq chevaliers bannerets, et sept comtes de l’empire prisonniers, mais aucun de blessé.

L’empereur Othon perdit la bataille. On tua, dit-on, trente mille Allemands, nombre probablement exagéré. On ne voit pas que le roi de France fit aucune conquête du côté de l’Allemagne après la victoire de Bouvines ; mais il en eut bien plus de pouvoir sur ses vassaux.

Celui qui perdit le plus à cette bataille fut Jean d’Angleterre, dont l’empereur Othon semblait la dernière ressource. (1218) Cet empereur mourut bientôt après comme un pénitent. Il se faisait, dit-on, fouler aux pieds de ses garçons de cuisine, et fouetter par des moines, selon l’opinion des princes de ce temps-là, qui pensaient expier par quelques coups de discipline le sang de tant de milliers d’hommes.

Il n’est point vrai, comme tant d’auteurs l’ont écrit, que Philippe reçut, le jour de la victoire de Bouvines, la nouvelle d’une autre bataille gagnée par son fils Louis VIII contre le roi Jean. Au contraire, Jean avait eu quelque succès en Poitou ; mais, destitué du secours de ses alliés, il fit une trêve avec Philippe. Il en avait besoin : ses propres sujets d’Angleterre devenaient ses plus grands ennemis ; il était méprisé, parce qu’il s’était fait vassal de Rome. (1215) Les barons le forcèrent de signer cette fameuse charte qu’on appelle la charte des libertés d’Angleterre.

Le roi Jean se crut plus lésé en laissant par cette charte à ses sujets les droits les plus naturels qu’il ne s’était cru dégradé en se faisant sujet de Rome ; il se plaignit de cette charte comme du plus grand affront fait à sa dignité : cependant qu’y trouve-t-on en effet d’injurieux à l’autorité royale ? qu’à la mort d’un comte, son fils majeur, pour entrer en possession du fief, payera au roi