Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/230

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Il affermit son pouvoir en sachant le réprimer à propos : il n’entreprit point sur les privilèges dont le peuple était jaloux ; il ne logea jamais de gens de guerre dans la cité de Londres ; il ne mit aucun impôt dont on pût murmurer ; il n’offensa point les yeux par trop de faste ; il ne se permit aucun plaisir ; il n’accumula point de trésors ; il eut soin que la justice fût observée avec cette impartialité impitoyable qui ne distingue point les grands des petits.

Le frère de Pantaléon Sâ, ambassadeur de Portugal en Angleterre, ayant cru que sa licence serait impunie parce que la personne de son frère était sacrée, insulta des citoyens de Londres, et en fit assassiner un pour se venger de la résistance des autres ; il fut condamné à être pendu. Cromwell, qui pouvait lui faire grâce, le laissa exécuter, et signa ensuite un traité avec l’ambassadeur.

Jamais le commerce ne fut si libre ni si florissant ; jamais l’Angleterre n’avait été si riche. Ses flottes, victorieuses, faisaient respecter son nom sur toutes les mers ; tandis que Mazarin, uniquement occupé de dominer et de s’enrichir, laissait languir dans la France la justice, le commerce, la marine, et même les finances. Maître de la France, comme Cromwell l’était de l’Angleterre, après une guerre civile, il eût pu faire pour le pays qu’il gouvernait ce que Cromwell avait fait pour le sien ; mais il était étranger, et l’âme de Mazarin, qui n’avait pas la barbarie de celle de Cromwell, n’en avait pas aussi la grandeur.

Toutes les nations de l’Europe qui avaient négligé l’alliance de l’Angleterre sous Jacques Ier, et sous Charles Ier, la briguèrent sous le protecteur. La reine Christine elle-même, quoiqu’elle eût détesté le meurtre de Charles Ier, entra dans l’alliance d’un tyran qu’elle estimait.

Mazarin et don Louis de Haro prodiguèrent à l’envi leur politique pour s’unir avec le protecteur. Il goûta quelque temps la satisfaction de se voir courtisé par les deux plus puissants royaumes de la chrétienté.

Le ministre espagnol lui offrait de l’aider à prendre Calais ; Mazarin lui proposait d’assiéger Dunkerque, et de lui remettre cette ville[1]. Cromwell avait à choisir entre les clefs de la France et celles de la Flandre. Il fut beaucoup sollicité aussi par Condé ; mais il ne voulut point négocier avec un prince qui n’avait plus pour lui que son nom, et qui était sans parti en France, et sans pouvoir chez les Espagnols.

  1. Voyez l’article Cromwell dans le Dictionnaire philosophique.