Turenne reçut un nouvel accroissement quand on sut que tout ce qu’il avait fait dans cette campagne, il l’avait fait malgré la cour, et malgré les ordres réitérés de Louvois, donnés au nom du roi. Résister à Louvois tout-puissant, et se charger de l’événement, malgré les cris de la cour, les ordres de Louis XIV, et la haine du ministre, ne fut pas la moindre marque du courage de Turenne, ni le moindre exploit de la campagne.
Il faut avouer que ceux qui ont plus d’humanité que d’estime pour les exploits de guerre gémirent de cette campagne si glorieuse. Elle fut célèbre par les malheurs des peuples autant que par les expéditions de Turenne. Après la bataille de Sintzheim, il mit à feu et à sang le Palatinat, pays uni et fertile, couvert de villes et de bourgs opulents. L’électeur palatin vit, du haut de son château de Manheim, deux villes et vingt-cinq villages embrasés. Ce prince, désespéré, défia Turenne à un combat singulier, par une lettre pleine de reproches[1]. Turenne ayant envoyé la lettre au roi, qui lui défendit d’accepter le cartel, ne répondit
- ↑ Pendant le cours de cette édition, M. Golini, secrétaire intime et historiographe de l’électeur palatin aujourd’hui régnant, a révoqué en doute l’histoire du cartel par des raisons très-spécieuses, énoncées avec beaucoup d’esprit et de sagacité. Il montre très-judicieusement que l’électeur Charles-Louis ne put écrire les lettres que Courtilz de Sandras et Ramsay ont imputées à ce prince. Plus d’un historien, en effet, attribue souvent à ses héros des écrits et des harangues de son imagination.
On n’a jamais vu la véritable lettre de l’électeur Charles-Louis, ni la réponse du maréchal de Turenne. Il a seulement toujours passé pour constant que l’électeur, justement outré des ravages et des incendies que Turenne commettait dans son pays, lui proposa un duel par un trompette nommé Petit-Jean. J’ai vu la maison de Bouillon persuadée de cette anecdote. Le grand-prieur de Vendôme et le maréchal de Villars n’en doutaient pas. Les Mémoires du marquis de Beauvau, contemporain, l’affirment. Cependant il se peut que le duel n’ait pas été expressément proposé dans la lettre amère que l’électeur dit lui-même avoir écrite au prince maréchal de Turenne. Plût à Dieu qu’il fût douteux que le Palatinat ait été embrasé deux fois ! Voilà ce qui n’est que trop constant, ce qui est essentiel, et ce qu’on reproche à la mémoire de Louis XIV.
M. Colini reproche à M. le président Hénault d’avoir dit, dans son Abrégé chronologique, que le prince de Turenne répondit à ce cartel avec une modération qui fit honte à l’électeur de cette bravade. La honte était dans l’incendie, lorsqu’on n’était pas encore en guerre ouverte avec le Palatinat, et ce n’était point une bravade dans un prince justement irrité de vouloir se battre contre l’auteur de ces cruels excès. L’électeur était très-vif ; l’esprit de chevalerie n’était pas encore éteint. On voit dans les Lettres de Pellison que Louis XIV lui-même demanda s’il pouvait on conscience se battre contre l’empereur Léopold. (Note de Voltaire.) — Cette note fut ajoutée par Voltaire dans l’édition de 1768. Cosme-Alexandre Colini, secrétaire de Voltaire, de 1752 à 1756, mort en 1806, avait publié, en 1767, une Dissertation historique et critique sur le prétendu cartel envoyé par Charles-Louis, électeur palatin, au vicomte de Turenne. (B.)