Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/351

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tivement quel homme imagina le premier de faire un partage prématuré et inouï de la monarchie espagnole pendant la vie de Charles II. Il est très-vraisemblable que ce fut le ministre Torcy : car ce fut lui qui en fit l’ouverture au comte de Portland Bentinck, ambassadeur de Guillaume III auprès de Louis XIV[1].

(Octobre 1698) Le roi Guillaume entra vivement dans ce projet nouveau. Il disposa dans la Haye, avec le comte de Tallard, de la succession d’Espagne. On donnait au jeune prince de Bavière l’Espagne et les Indes occidentales, sans savoir que Charles II lui avait déjà légué auparavant tous ses États. Le dauphin fils de Louis XIV devait posséder Naples, Sicile, et la province de Guipuscoa, avec quelques villes. On ne laissait à l’archiduc Charles, second fils de l’empereur Léopold, que le Milanais, et rien à l’archiduc Joseph, fils aîné de Léopold, héritier de l’empire.

Le sort d’une partie de l’Europe et de la moitié de l’Amérique ainsi réglé, Louis promit, par ce traité de partage, de renoncer à la succession entière de l’Espagne. Le dauphin promit et signa la même chose. La France croyait gagner des États ; l’Angleterre et la Hollande croyaient affermir le repos d’une partie de l’Europe ; toute cette politique fut vaine. Le roi moribond, apprenant qu’on déchirait sa monarchie de son vivant, fut indigné. On s’attendait qu’à cette nouvelle il déclarerait pour son successeur ou l’empereur Léopold, ou un fils de cet empereur ; qu’il lui donnerait cette récompense de n’avoir point trempé dans ce partage ; que la grandeur et l’intérêt de la maison d’Autriche lui dicteraient un testament. Il en fit un en effet ; mais il déclara pour la seconde fois ce même prince de Bavière unique héritier de tous ses États (novembre 1698). La nation espagnole, qui ne craignait rien tant que le démembrement de sa monarchie, applaudissait à cette disposition. La paix semblait devoir en être le fruit. Cette espérance fut encore aussi vaine que le traité de partage. Le prince de Bavière[2], désigné roi, mourut à Bruxelles[3] (6 février 1699).

  1. L’auteur du Siècle de Louis XIV avait écrit la plupart de ces particularités, alors aussi nouvelles qu’intéressantes, longtemps avant que les Mémoires du marquis de Torcy parussent ; et ces Mémoires ont enfin confirmé tous les faits rapportés dans cette histoire. (Note de Voltaire.) — Voyez la note, page 323.
  2. Joseph-Ferdinand-Léopold, destiné à la couronne d’Espagne, était né le 27 octobre 1692.
  3. Les bruits odieux répandus sur la mort du prince électoral de Bavière ne sont plus répétés aujourd’hui que par de vils écrivains sans aveu, sans pudeur, et sans connaissance du monde, qui travaillent pour des libraires, et qui se donnent pour des politiques. On trouve dans les prétendus Mémoires de madame de Maintenon, tome V, page 6, ces paroles : « La cour de Vienne, de tout temps infectée