Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/561

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pouvoir sur les hommes, qu’on admira Balzac dans son temps pour avoir trouvé cette petite partie de l’art ignorée et nécessaire, qui consiste dans le choix harmonieux des paroles, et même pour l’avoir employée souvent hors de sa place.

Voiture donna quelque idée des grâces légères de ce style épistolaire, qui n’est pas le meilleur, puisqu’il ne consiste que dans la plaisanterie. C’est un baladinage, que deux tomes de lettres, dans lesquelles il n’y en a pas une seule instructive, pas une qui parle du cœur, qui peigne les mœurs du temps et les caractères des hommes c’est plutôt un abus qu’un usage de l’esprit.

La langue commençait à s’épurer et à prendre une forme constante. On en était redevable à l’Académie française, et surtout à Vaugelas. Sa Traduction de Quinte-Curce, qui parut en 1646, fut le premier bon livre écrit purement ; et il s’y trouve peu d’expressions et de tours qui aient vieilli.

Olivier Patru, qui le suivit de près, contribua beaucoup à régler, à épurer le langage ; et quoiqu’il ne passât pas pour un avocat profond, on lui dut néanmoins l’ordre, la clarté, la bienséance, l’élégance du discours, mérites absolument inconnus avant lui au barreau.

Un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un esprit de justesse et de précision, fut le petit recueil des Maximes de François duc de La Rochefoucauld. Quoiqu’il n’y ait presque qu’une vérité dans ce livre, qui est que l’amour-propre est le mobile de tout, cependant cette pensée se présente sous tant d’aspects variés qu’elle est presque toujours piquante. C’est moins un livre que des matériaux pour orner un livre. On fut avidement ce petit recueil ; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis, et délicat. C’était un mérite que personne n’avait eu avant lui en Europe depuis la renaissance des lettres.

Mais le premier livre de génie qu’on vit en prose fut le recueil des Lettres provinciales, en 1656. Toutes les sortes d’éloquence y sont renfermées. Il n’y a pas un seul mot qui, depuis cent ans, se soit ressenti du changement qui altère souvent les langues vivantes ; Il faut rapporter à cet ouvrage l’époque de la fixation du langage. L’évêque de Luçon, fils du célèbre Bussy, m’a dit qu’ayant demandé à M. de Meaux quel ouvrage il eût mieux aimé avoir fait, s’il n’avait pas fait les siens, Bossuet lui répondit : Les Lettres provinciales[1].

  1. Les premières phrases de cet alinéa sont de 1756 ; la dernière est de 1768. L’abolition des Jésuites est de 1764 : voyez l’Histoire du Parlement ch. LXVIII. (B.)