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dominent jusqu’ici de très haut l’œuvre poétique de Paul Bourget. Dans ce livre, le poète nous confesse, avec une intensité douloureuse, les troubles d’un cœur désemparé, au lendemain de la grande déception d’amour à demi racontée dans Edel : — ici, la débauche ou l’on a cherché l’oubli, où l’on n’a trouvé que spleen et remords ; — plus loin, la folle résolution de rayer la femme de sa vie intérieure pour ne plus vivre que par l’esprit ; — ailleurs, un dilettantisme de tendresse élégante, que l’on s’efforce de prendra pour la passion et qui n’est guère qu’un libertinage sentimental plus décevant encore que l’autre… Mais parmi ces erreurs d’âme subsistent, indélébiles, le regret de la foi et de la pureté perdues, le vague espoir d’une ingénuité reconquise à force de science. — Et une nouvelle figure de femme, faite de toutes ces nostalgies, semble flotter au-dessus du livre. On dirait une de ces vierges peintes par Burne Jones, à la grâce presque inquiétante, aux grands yeux presque trop limpides, et qui cueillent des fleurs mystiques en de frais paysages de rêve. C’est la Muse des derniers vers de Paul Bourget. Elle arrive d’Angleterre ; elle a déjà inspiré Shelley, Rossetti, jusqu’à cette Mary Robinson dont M. James Darmesteter nous a révélé le charmant génie. A notre poésie, qui pèche souvent par un excès de raisonnement et de netteté, par une vaine lutte de rendu avec les arts plastiques, elle apporte le don du symbole suggestif et quelque chose de l’indéterminé des sensations musicales. D’aucuns l’ont déjà trop écoutée, mais non Paul Bourget, qui l’entend avec une oreille bien française et qui lui doit les plus pénétrants comme les plus originaux de ses poèmes. »

Depuis 1882, M. Paul Bourget s’est à peu près exclusivement consacré au roman, où il s’est illustré. « Vers l’année 1880, écrit M. Georges Pellissier, le naturalisme était en plein triomphe, et la physiologie évinçait complètement la psychologie. L’école naturaliste, bornant la vie dans l’activité fatale des instincts, excluait de la nature et, par suite, de l’art, tous les éléments que son matérialisme cru laissait hors de prise. Une réaction était devenue inévitable. Ce fut M. Paul Bourget qui en donna le signal. L’un de ses plus beaux titres de gloire est d’avoir réintégré dans le roman ce que nos ancêtres appelaient l’observation morale, ce que nous nommons de nos jours la psychologie. »

M. Paul Bourget n’a pas appliqué avec moins de bonheur ses rares facultés d’analyse à quelques-uns des principaux penseurs ou écrivains de ce siècle dans ses Essais de psychologie contemporaine (1883), suivis de Nouveaux Essais (1885) et Etudes et Portraits (1888).

M. Paul Bourget est membre de l’Académie française.