Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t3.djvu/313

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Pour moi, loin de tes yeux qui serai misérable !
Car ta lance a mêlé nos murailles au sable,
Car mon père et ma mère étaient mortels tous deux,
Et c’est toi mes parents, ma patrie et mes dieux !
Du passé n’est-il rien enfin qui te retienne ?
Fut-elle pas ma vie échauffée à la tienne,
Ajax ? et si j’ai su te plaire, qu’en retour,
Tu prennes maintenant pitié de mon amour !…

{Ajax, tragédie d’après Sophocle ; 1896.)

STROPHES

A Chartes Maurras.

Maurras, je me compare à ce fils de Laërte,
Ulysse, tourmenté des fureurs de la mer,
Sans cesse et si lontemps approché de sa perte
Que l’éclat du laurier même lui fut amer.

Pourtant lorsque, abordé dans l’heureuse Corcyre,
Tenu pour l’un des dieux par ces bons Phéaciens,
Quand le vieillard aveugle eut tiré de la lyre
Avec l’honneur des rois leurs exploits et les siens ;

Aussitôt qu’au malheur il eut cédé ses larmes,
Le passé l’enivra comme un vin généreux,
Car c’étaient moins alors les périls que les charmes
Des philtres de Circé qui remplissaient ses yeux.

Nous aussi qui marchons dans un cercle de peines,
Nous devons, ô Maurras, arrêter nos sanglots :
La douleur est souvent cette voix des Sirènes —
Qu’Ulysse entendit bien, mais non ses matelots.

Je n’ai point dirigé mes pas vers la contrée
Où s’amasse l’horreur des fleuves de l’enfer,
Empire de la Nuit et de l’Hyperborée
Et dont le Phlégéthon n’échauffe pas l’hiver.

Je sais que, détournant ses yeux du sacrifice,
Et vouant à l’Hadès le sang d’un bélier noir,