Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/304

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beau temps au dedans de moi. Le bien et le mal de mes affaires mêmes y font peu : je m’efforce quelquefois de moi-même contre la fortune ; la gloire de la dompter me la fait dompter gaiement ; au lieu que je fais quelquefois le dégoûté dans la bonne fortune.


51.

En écrivant ma pensée, elle m’échappe quelquefois ; mais cela me fait souvenir de ma foiblesse, que j’oublie à toute heure ; ce qui m’instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tends qu’à connoître mon néant.


52.

C’est une plaisante chose à considérer, de ce qu’il y a des gens dans le monde qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s’en sont fait eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement, comme, par exemple, les soldats de Mahomet, les voleurs, les hérétiques, etc. Et ainsi les logiciens. Il semble que leur licence doive être sans aucune borne ni barrière, voyant qu’ils en ont franchi tant de si justes et de si saintes.


53.

Mien, tien. — « Ce chien est à moi, disoient ces pauvres enfans ; c’est là ma place au soleil. » Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre.


54.

« Vous avez mauvaise grâce, excusez-moi, s’il vous plaît. » Sans cette excuse, je n’eusse pas aperçu qu’il y eût d’injure. « Révérence parler... » Il n’y a rien de mauvais que leur excuse.


55.

On ne s’imagine Platon et Aristote qu’avec de grandes robes de pédans. C’étoient des gens honnêtes et comme les autres, riant avec leurs amis : et quand ils se sont divertis à faire leurs Lois et leur Politique, ils l’ont fait en se jouant. C’étoit la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie. La plus philosophe étoit de vivre simplement et tranquillement.

S’ils ont écrit de politique, c’étoit comme pour régler un hôpital de fous. Et s’ils ont fait semblant d’en parler comme d’une grande chose, c’est qu’ils savoient que les fous à qui ils parloient pensoient être rois et empereurs. Ils entroient dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu’il se pouvoit.


56.

Épigrammes de Martial. L’homme aime la malignité : mais ce n’est pas contre les borgnes, ni contre les malheureux, mais contre les heureux superbes ; on se trompe autrement. Car la concupiscence est la source de tous nos mouvemens, et l’humanité. Il faut plaire à ceux qui ont les sentimens humains et tendres.

Celle des deux borgnes[1] ne vaut rien, parce qu’elle ne les console : pas, et ne fait que donner une pointe à la gloire de l’auteur. Tout

  1. Il n’y a point d’épigramme des deux borgnes dans Martial. M. Havet.