Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/292

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ger en archéologue moral et observer les hommes au lieu d’observer les pierres, pourrait retrouver une image du siècle de Louis XV dans quelque village de la Provence, celle du siècle de Louis XIV au fond du Poitou, celle de siècles encore plus anciens au fond de la Bretagne. La plupart de ces villes sont déchues de quelque splendeur dont ne parlent point les historiens, plus occupés des faits et des dates que des mœurs, mais dont le souvenir vit encore dans la mémoire, comme en Bretagne, où le caractère national admet peu l’oubli de ce qui touche au pays. Beaucoup de ces villes ont été les capitales d’un petit état féodal, comté, duché conquis par la Couronne ou partagés par des héritiers faute d’une lignée masculine. Déshéritées de leur activité, ces têtes sont dès lors devenues des bras. Le bras, privé d’aliments, se dessèche et végète. Cependant, depuis trente ans, ces portraits des anciens âges commencent à s’effacer et deviennent rares. En travaillant pour les masses, l’Industrie moderne va détruisant les créations de l’Art antique dont les travaux étaient tout personnels au consommateur comme à l’artisan. Nous avons des produits nous n’avons plus d’œuvres. Les monuments sont pour la moitié dans ces phénomènes de rétrospection. Or pour l’industrie, les monuments sont des carrières de moellons, des mines à salpêtre ou des magasins à coton. Encore quelques années, ces cités originales seront transformées et ne se verront plus que dans cette iconographie littéraire.

Une des villes où se retrouve le plus correctement la physionomie des siècles féodaux est Guérande. Ce nom seul réveillera mille souvenirs dans la mémoire des peintres, des artistes, des penseurs qui peuvent être allés jusqu’à la côte où gît ce magnifique joyau de féodalité, si fièrement posé pour commander les relais de la mer et les dunes, et qui est comme le sommet d’un triangle aux coins duquel se trouvent deux autres bijoux non moins curieux, le Croisic et le bourg de Batz. Après Guérande, il n’est plus que Vitré situé au centre de la Bretagne, Avignon dans le midi, qui conservent au milieu de notre époque leur intacte configuration du moyen âge. Encore aujourd’hui, Guérande est enceinte de ses puissantes murailles : ses larges douves sont pleines d’eau, ses créneaux sont entiers, ses meurtrières ne sont pas encombrées d’arbustes, le lierre n’a pas jeté de manteau sur ses tours carrées ou rondes. Elle a trois portes où se voient les anneaux des herses, vous n’y entrez qu’en passant sur un pont-levis de bois ferré qui ne se relève plus, mais