Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/391

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— N’avez-vous pas ici Camille Maupin ?

— Ah ! quelle différence ! dit naïvement Calyste.

— Bien, Calyste, lui souffla Félicité dans l’oreille, quand je vous le disais que vous m’oublieriez comme si je n’avais pas existé. Mettez-vous là, près d’elle, à sa droite, et Vignon à sa gauche. Quant à toi, Gennaro, je te garde, ajouta-t-elle en riant, nous surveillerons ses coquetteries.

L’accent particulier que mit Camille à ce mot frappa Claude, qui lui jeta ce regard sournois et quasi distrait par lequel se trahit en lui l’observation. Il ne cessa d’examiner mademoiselle des Touches pendant tout le dîner.

— Des coquetteries, répondit la marquise en se dégantant et montrant ses magnifiques mains, il y a de quoi. J’ai d’un côté, dit-elle en montrant Claude, un poète, et de l’autre la poésie.

Gennaro Conti jeta sur Calyste un regard plein de flatteries. Aux lumières, Béatrix parut encore plus belle : les blanches clartés des bougies produisaient des luisants satinés sur son front, allumaient des paillettes dans ses yeux de gazelle et passaient à travers ses boucles soyeuses en les brillantant et y faisant resplendir quelques fils d’or. Elle rejeta son écharpe de gaze en arrière par un geste gracieux, et se découvrit le col. Calyste aperçut alors une nuque délicate et blanche comme du lait, creusée par un sillon vigoureux qui se séparait en deux ondes perdues vers chaque épaule avec une moelleuse et décevante symétrie. Ces changements à vue que se permettent les femmes produisent peu d’effet dans le monde où tous les regards sont blasés, mais ils font de cruels ravages sur les âmes neuves comme était celle de Calyste. Ce col, si dissemblable de celui de Camille, annonçait chez Béatrix un tout autre caractère. Là se reconnaissaient l’orgueil de la race, une ténacité particulière à la noblesse, et je ne sais quoi de dur dans cette double attache, qui peut-être est le dernier vestige de la force des anciens conquérants.

Calyste eut mille peines à paraître manger, il éprouvait des mouvements nerveux qui lui ôtaient la faim. Comme chez tous les jeunes gens, la nature était en proie aux convulsions qui précèdent le premier amour et le gravent si profondément dans l’âme. À cet âge, l’ardeur du cœur, contenue par l’ardeur morale, amène un combat intérieur qui explique la longue hésitation respectueuse, les profondes méditations de tendresse, l’absence de tout calcul, attraits par-