Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/18

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différent : « — Qu’est-ce que les Touches ? — Les Touches sont à vous, m’a dit ma divine belle-mère. — Si Calyste n’avait jamais mis le pied aux Touches !… s’écria ma tante Zéphirine en hochant la tête. — Mais il ne serait pas mon mari, dis-je à ma tante. — Vous savez donc ce qui s’y est passé ? m’a répliqué finement ma belle-mère. — C’est un lieu de perdition, a dit mademoiselle de Pen-Hoël, mademoiselle des Touches y a fait bien des péchés dont elle demande maintenant pardon à Dieu. — Cela n’a-t-il pas sauvé l’âme de cette noble fille, et fait la fortune d’un couvent ? s’est écrié le chevalier du Halga ; l’abbé Grimont m’a dit qu’elle avait donné cent mille francs aux dames de la Visitation. — Voulez-vous aller aux Touches ? m’a demandé ma belle-mère, ça vaut la peine d’être vu. — Non ! non, » ai-je dit vivement. Cette petite scène ne vous semble-t-elle pas une page de quelque drame diabolique ? elle est revenue sous vingt prétextes. Enfin, ma belle-mère m’a dit : « — Je comprends pourquoi vous n’allez pas aux Touches, vous avez raison. » Oh ! vous avouerez, maman, que ce coup de poignard involontairement donné vous aurait décidée à savoir si votre bonheur reposait sur des bases si frêles, qu’il dût périr sous tel ou tel lambris. Il faut rendre justice à Calyste, il ne m’a jamais proposé de visiter cette chartreuse devenue son bien. Nous sommes des créatures dénuées de sens, dès que nous aimons ; car ce silence, cette réserve m’ont piquée, et je lui ai dit un jour : « — Que crains-tu donc de voir aux Touches que toi seul n’en parles pas ? — Allons-y, » dit-il.

» J’ai donc été prise comme toutes les femmes qui veulent se laisser prendre, et qui s’en remettent au hasard pour dénouer le nœud gordien de leur indécision. Et nous sommes allés aux Touches. C’est charmant, c’est d’un goût profondément artiste, et je me plais dans cet abîme où mademoiselle des Touches m’avait tant défendu d’aller. Toutes les fleurs vénéneuses sont charmantes, Satan les a semées, car il y a les fleurs du diable et les fleurs de Dieu ! nous n’avons qu’à rentrer en nous-mêmes pour voir qu’ils ont créé le monde de moitié. Quelles âcres délices dans cette situation où je jouais non pas avec le feu, mais avec les cendres !… J’étudiais Calyste, il s’agissait de savoir si tout était bien éteint, et je veillais aux courants d’air, croyez-moi ! J’épiais son visage en allant de pièce en pièce, de meuble en meuble, absolument comme les enfants qui cherchent un objet caché. Calyste m’a paru pensif, mais j’ai cru d’abord avoir vaincu. Je me suis sentie assez forte pour parler de