Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/219

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— Écoutez, mademoiselle ! quoique vous vous soyez entortillé les joues d’un foulard et de ouate, vous n’avez pas de fluxion. Et, si vous avez un double voile à votre chapeau, c’est pour voir sans être vue.

— D’où vous vient tant de pénétration ? s’écria Modeste en rougissant.

— Eh ! mademoiselle, vous n’avez pas de corset ! Une fluxion ne vous obligeait pas à vous déguiser la taille, en mettant plusieurs jupons, à cacher vos mains sous de vieux gants, et vos jolis pieds dans d’affreuses bottines, à vous mal habiller, à…

— Assez ! dit-elle. Maintenant, comment serais-je certaine d’avoir été obéie ?

— Mon patron veut aller à Saint-Adresse, il en est contrarié ; mais comme il est vraiment bon, il n’a pas voulu me priver de mon dimanche : eh bien, je lui proposerai d’y aller…

— Allez-y, et j’aurai confiance en vous…

— Êtes-vous sûre de ne pas avoir besoin de moi au Havre ?

— Non. Écoutez, nain mystérieux, regardez, dit-elle en lui montrant le temps sans nuages. Voyez-vous la trace de l’oiseau qui passait tout à l’heure ? eh bien ! mes actions, pures comme l’air est pur, n’en laissent pas davantage. Rassurez Dumay, rassurez les Latournelle, rassurez ma mère, et sachez que cette main, dit-elle en lui montrant une jolie main fine, aux doigts retroussés et que le jour traversa, ne sera point accordée, elle ne sera pas même animée d’un baiser, avant le retour de mon père, par ce qu’on appelle un amant.

— Et pourquoi ne me voulez-vous pas à l’église aujourd’hui ?…

— Vous me questionnez, après ce que je vous ai fait l’honneur de vous dire et de vous demander ?…

Butscha salua sans rien répondre, et courut chez son patron dans le ravissement d’entrer au service de sa maîtresse anonyme.

Une heure après, monsieur et madame Latournelle vinrent chercher Modeste qui se plaignit d’un horrible mal de dents.

— Je n’ai pas eu, dit-elle, le courage de m’habiller.

— Eh bien ! restez, dit la bonne notaresse.

— Oh ! non, je veux prier pour l’heureux retour de mon père, répondit Modeste, et j’ai pensé qu’en m’emmitouflant ainsi, ma sortie me ferait plus de bien que de mal.

Et mademoiselle Mignon alla seule, à côté de Latournelle. Elle