Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/8

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Me voici, depuis deux jours, au fond de la Bretagne, à l’hôtel du Guénic, une maison brodée comme une boîte en coco. Malgré les attentions affectueuses de la famille de Calyste, j’éprouve un vif besoin de m’envoler vers vous, de vous dire une foule de ces choses qui, je le sens, ne se confient qu’à une mère. Calyste s’est marié, chère maman, en conservant un grand chagrin dans le cœur, personne de nous ne l’ignorait, et vous ne m’avez pas caché les difficultés de ma conduite. Hélas ! elles sont plus grandes que vous ne le supposiez. Ah ! chère maman, quelle expérience nous acquérons en quelques jours, et pourquoi ne vous dirai-je pas en quelques heures ? Toutes vos recommandations sont devenues inutiles, et vous devinerez comment par cette seule phrase : J’aime Calyste comme s’il n’était pas mon mari. C’est-à-dire que si mariée à un autre, je voyageais avec Calyste, je l’aimerais et haïrais mon mari. Observez donc un homme aimé si complétement, involontairement, absolument, sans compter tous les autres adverbes qu’il vous plaira d’ajouter. Aussi ma servitude s’est-elle établie en dépit de vos bons avis. Vous m’aviez recommandé de rester grande, noble, digne et fière pour obtenir de Calyste des sentiments qui ne seraient sujets à aucun changement dans la vie : l’estime, la considération qui doivent sanctifier une femme au milieu de la famille. Vous vous étiez élevée avec raison sans doute contre les jeunes femmes d’aujourd’hui qui, sous prétexte de bien vivre avec leurs maris, commencent par la facilité, par la complaisance, la bonhomie, la familiarité, par un abandon un peu trop fille, selon vous (un mot que je vous avoue n’avoir pas encore compris, mais nous verrons plus tard), et qui, s’il faut vous en croire, en font comme des relais pour arriver rapidement à l’indifférence et au mépris peut-être. — « Souviens-toi que tu es une Grandlieu ! » m’avez-vous dit à l’oreille. Ces recommandations, pleines de la maternelle éloquence de Dédalus, ont eu le sort de toutes les choses mythologiques. Chère mère aimée, pouviez-vous supposer que je commencerais par cette catastrophe qui termine, selon vous, la lune de miel des jeunes femmes d’aujourd’hui ?

» Quand nous nous sommes vus seuls dans la voiture, Calyste et moi, nous nous sommes trouvés aussi sots l’un que l’autre en comprenant toute la valeur d’un premier mot, d’un premier regard, et chacun de nous, sanctifié par le sacrement, a regardé par sa portière. C’était si ridicule, que, vers la barrière, monsieur m’a