Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

involontairement fait les calculs dont les odieuses pensées lui étaient reprochées. Puis, en s’examinant avec une bonne foi tout angélique, il ne trouvait que de l’égoïsme dans ses paroles, dans ses idées, dans ses réponses conçues et non exprimées. Il se donna tort, et, dans son désespoir, il eut l’envie de se précipiter par la fenêtre. Le moi le tuait. Que dire, en effet, à une femme qui ne croit pas à l’amour ? — « Laissez-moi vous prouver combien je vous aime. » Toujours moi. Montriveau ne savait pas, comme en ces sortes de circonstances le savent les héros de boudoir, imiter le rude logicien marchant devant les Pyrrhoniens, qui niaient le mouvement. Cet homme audacieux manquait précisément de l’audace habituelle aux amants qui connaissent les formules de l’algèbre féminine. Si tant de femmes, et même les plus vertueuses, sont la proie des gens habiles en amour auxquels le vulgaire donne un méchant nom, peut-être est-ce parce qu’ils sont de grands prouveurs, et que l’amour veut, malgré sa délicieuse poésie de sentiment, un peu plus de géométrie qu’on ne le pense. Or, la duchesse et Montriveau se ressemblaient en ce point qu’ils étaient également inexperts en amour. Elle en connaissait très-peu la théorie, elle en ignorait la pratique, ne sentait rien et réfléchissait à tout. Montriveau connaissait peu de pratique, ignorait la théorie, et sentait trop pour réfléchir. Tous deux subissaient donc le malheur de cette situation bizarre. En ce moment suprême, ses myriades de pensées pouvaient se réduire à celle-ci : « Laissez-vous posséder. » Phrase horriblement égoïste pour une femme chez qui ces mots n’apportaient aucun souvenir et ne réveillaient aucune image. Néanmoins, il fallait répondre. Quoiqu’il eût le sang fouetté par ces petites phrases en forme de flèches, bien aiguës, bien froides, bien acérées, décochées coup sur coup, Montriveau devait aussi cacher sa rage, pour ne pas tout perdre par une extravagance.

— Madame la duchesse, je suis au désespoir que Dieu n’ait pas inventé pour la femme une autre façon de confirmer le don de son cœur que d’y ajouter celui de sa personne. Le haut prix que vous attachez à vous-même me montre que je ne dois pas en attacher un moindre. Si vous me donnez votre âme et tous vos sentiments, comme vous me le dites, qu’importe donc le reste ? D’ailleurs, si mon bonheur vous est un si pénible sacrifice, n’en parlons plus. Seulement, vous pardonnerez à un homme de cœur de se trouver humilié en se voyant pris pour un épagneul.