Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

chille des pirates, se fit, de ravageur, colon tranquille, et disposa sans remords, à la lueur du foyer domestique, de millions ramassés dans le sang, à la rouge clarté des incendies.

Depuis la mort de Napoléon, un hasard que l’auteur doit taire encore a dissous les liens de cette vie secrète, curieuse, autant que peut l’être le plus noir des romans de madame Radcliffe. La permission assez étrange de raconter à sa guise quelques-unes des aventures arrivées à ces hommes, tout en respectant certaines convenances, ne lui a été que récemment donnée par un de ces héros anonymes auxquels la société tout entière fut occultement soumise, et chez lequel il croit avoir surpris un vague désir de célébrité.

Cet homme en apparence jeune encore, à cheveux blonds, aux yeux bleus, dont la voix douce et claire semblait annoncer une âme féminine, était pâle de visage et mystérieux dans ses manières, il causait avec amabilité, prétendait n’avoir que quarante ans, et pouvait appartenir aux plus hautes classes sociales. Le nom qu’il avait pris paraissait être un nom supposé ; dans le monde, sa personne était inconnue. Qu’est-il ? On ne sait.

Peut-être en confiant à l’auteur les choses extraordinaires qu’il lui a révélées, l’inconnu voulait-il les voir en quelque sorte reproduites, et jouir des émotions qu’elles feraient naître au cœur de la foule, sentiment analogue à celui qui agitait Macpherson quand le nom d’Ossian, sa créature, s’inscrivait dans tous les langages. Et c’était, certes, pour l’avocat écossais, une des sensations les plus vives, ou les plus rares du moins, que l’homme puisse se donner. N’est-ce pas l’incognito du génie ? Écrire l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, c’est prendre sa part dans la gloire humaine d’un siècle ; mais doter son pays d’un Homère, n’est-ce pas usurper sur Dieu ?

L’auteur connaît trop les lois de la narration pour ignorer les engagements que cette courte préface lui fait contracter ; mais il connaît assez l’Histoire des Treize pour être certain de ne jamais se trouver au-dessous de l’intérêt que doit inspirer ce programme. Des drames dégouttant de sang, des comédies pleines de terreurs, des romans où roulent des têtes secrètement coupées, lui ont été confiés. Si quelque lecteur n’était pas rassasié des horreurs froidement servies au public depuis quelque temps, il pourrait lui révéler de calmes atrocités, de surprenantes tragédies de famille, pour peu que le désir de les savoir lui fut témoigné. Mais il a choisi de