Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/86

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— Comment te portes-tu ? dit-il à sa femme malgré l’espèce de froid qui les séparait.

Les habitudes de cœur sont si difficiles à quitter !

— Assez bien. Jules, reprit-elle d’une voix coquette, veux-tu dîner près de moi ?

— Oui, répondit-il en apportant la lettre, tiens, voici ce que Fouquereau m’a remis pour toi.

Clémence, qui était pâle, rougit extrêmement en apercevant la lettre, et cette rougeur subite causa la plus vive douleur à son mari.

— Est-ce de la joie, dit-il en riant, est-ce un effet de l’attente ?

— Oh ! il y a bien des choses, dit-elle en regardant le cachet.

— Je vous laisse, madame.

Et il descendit dans son cabinet, où il écrivit à son frère ses intentions relatives à la constitution de la rente viagère destinée à la veuve Gruget. Quand il revint, il trouva son dîner préparé sur une petite table, près du lit de Clémence, et Joséphine prête à servir.

— Si j’étais debout, avec quel plaisir je te servirais ! dit-elle quand Joséphine les eut laissés seuls. Oh ! même à genoux, reprit-elle en passant ses mains pâles dans la chevelure de Jules. Cher noble cœur, tu as été bien gracieux et bien bon pour moi tout à l’heure. Tu m’as fait là plus de bien, par ta confiance, que tous les médecins de la terre ne pourraient m’en faire par leur ordonnance. Ta délicatesse de femme, car tu sais aimer comme une femme, toi… eh ! bien, elle a répandu dans mon âme je ne sais quel baume qui m’a presque guérie. Il y a trêve, Jules, avance ta tête, que je la baise.

Jules ne put se refuser au plaisir d’embrasser Clémence. Mais ce ne fut pas sans une sorte de remords au cœur, il se trouvait petit devant cette femme qu’il était toujours tenté de croire innocente. Elle avait une sorte de joie triste. Une chaste espérance brillait sur son visage à travers l’expression de ses chagrins. Ils semblaient également malheureux d’être obligés de se tromper l’un l’autre, et encore une caresse, ils allaient tout s’avouer, ne résistant pas à leurs douleurs.

— Demain soir, Clémence.

— Non, monsieur, demain à midi, vous saurez tout, et vous vous agenouillerez devant votre femme. Oh ! non, tu ne t’humilie-